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mais plus rapide et plus sûr, s’ils avaient mieux respecté à l’origine les traditions nationales.

Depuis cinq cents ans, la monarchie française reposait sur les trois ordres. En accordant que le nombre des députés du tiers-état serait égal à celui des deux autres ordres réunis, le roi allait au-devant de l’avenir sans se séparer complètement du passé. Cette concession avait contre elle la majorité de l’assemblée des notables, une partie de la noblesse et du clergé, l’opinion déclarée de cinq princes du sang, l’exemple des états de Bretagne, de Bourgogne et d’Artois, le sentiment connu d’un grand nombre de membres du conseil d’état et des cours souveraines. En cédant au vœu unanime du tiers-état et à ce bruit sourd de l’Europe entière dont parlait Necker, qui favorisait confusément toutes les idées d’équité général le roi pouvait s’appuyer sur la minorité des notables, sur l’opinion de trois princes du sang, sur les membres les plus éclairés de la noblesse et du clergé, sur l’exemple des états du Languedoc et le vote récent des trois ordres du Dauphiné. La balance pouvait donc être considérée comme à peu près égale, et le poids de la couronne suffisait pour la faire pencher ; les états-généraux eux-mêmes pouvaient seuls aller au-delà.

La double représentation du tiers entraînait dans un avenir peu éloigné la séparation des états-généraux en deux chambres. Dans sa prédilection pour une chambre unique, M. Chassin a contre lui l’exemple de tous les pays constitutionnels. Je ne lui citerai pas l’Angleterre, quoique l’histoire politique de ce pays ne soit pas tout à fait à dédaigner ; je ne lui parlerai pas non plus de la Belgique, de l’Espagne, des Pays-Bas, de la Prusse, du nouveau royaume d’Italie, parce que ce sont des monarchies. Je me bornerai à lui rappeler que toutes les constitutions des États-Unis d’Amérique admettent le principe des deux chambres ; les républiques ont pris modèle à cet égard sur les monarchies parlementaires. Nous avons fait à deux reprises l’expérience d’une chambre unique, en 1789 et en 1848. La première fois elle a duré six ans, et au prix de quelles convulsions, le monde le sait. La seconde épreuve a duré moins encore. La constitution de l’an ni est revenue la première aux deux, chambres, et depuis ce moment toutes les constitutions de la France, sauf une, ont reconnu cette nécessité.

On trouve dans le rapport de Necker des passages comme celui-ci : « l’ancienne délibération par ordre ne pouvant être changée que par le concours des trois ordres et par l’approbation du roi, le nombre des députés du tiers-état n’est jusque-là qu’un moyen de rassembler toutes les connaissances utiles au bien de l’état, et l’on ne peut contester que cette variété de connaissances appartient surtout à l’ordre du tiers-état, puisqu’il est une multitude d’affaires publiques dont lui seul a l’instruction, » Quand on ne saurait pas par d’autres documens que Necker voulait arriver aux deux chambres du consentement des trois ordres, sa pensée percerait ici. On la voit encore mieux dans le passage suivant : « on peut supposer que, d’un commun accord et sollicités par l’intérêt public, les trois ordres