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au villageois qui les avait accompagnés, on le vit bientôt acheter des champs et des vignes, et devenir, sans que l’on sût trop comment, un des plus riches propriétaires du pays. Ce ne fut qu’à son lit de mort qu’il fit à ses fils ce récit et qu’il leur révéla le secret de sa fortune.

De Gortyne et du labyrinthe, douze heures de chemin sur les pentes orientales de l’Ida conduisent à Candie, la capitale arabe, byzantine et vénitienne. L’Ida, vu de ce côté, est très abrupt et très aride ; on traverse de tristes plateaux pierreux qu’égaie çà et là le vol des perdrix rouges se levant à grand bruit sous les pieds des chevaux. À moitié route environ, auprès du village d’Hagbios-Thomas, se trouvent de curieux tombeaux qui indiquent peut-être le site de la blanche Lykastos, nommée par Homère. Creusés dans des rochers isolés qui ont reçu extérieurement une décoration architecturale, ces tombeaux, dont je n’avais point encore vu les pareils dans l’île, rappellent ceux qui subsistent en si grande quantité auprès des villes du Pont ou de la Lycie. Ce qui ajoute à l’étrange aspect de cette nécropole, c’est que les tremblemens de terre, très fréquens dans toute la région de l’Ida, ont détaché de la montagne un certain nombre de ces rochers, et les ont fait rouler sur la pente, où ils se sont arrêtés à différentes hauteurs et dans les positions les plus variées. De ces petits édifices funéraires, les uns gisent maintenant sur le flanc, les autres ont enfoncé dans le sol la pointe de leur fronton, les pilastres de leurs chapiteaux, et se tiennent, si l’on peut ainsi parler, la tête en bas. D’autres enfin se sont brisés en plusieurs morceaux.

Candie, où réside un pacha de qui dépend toute la partie de l’île qui s’étend à l’est de l’Ida, est une ville agonisante. Sa vaste enceinte fortifiée, œuvre des Vénitiens, est trop large pour la population de douze à treize mille âmes qui l’habite maintenant ; aussi contient-elle, outre les maisons et leurs dépendances, de grands espaces vides, des champs et des jardins. Il y a bien moins de monde et de mouvement dans les rues à Candie qu’à La Canée. Ce qui rendait plus triste encore l’aspect de cette pauvre cité quand nous l’avons visitée, c’était le tremblement de terre qui l’avait frappée l’année précédente, en 1856. Une vingtaine de maisons seulement étaient restées habitables, toutes les autres avaient plus ou moins souffert, et la plupart avaient été entièrement ruinées. On avait déjà beaucoup rebâti, et pourtant l’œil rencontrait encore partout des décombres, et l’on était à chaque instant arrêté dans les rues par des poutres brisées et des monceaux de gravois.

Les fortifications, réparées par les Turcs après le siège célèbre qui mit la ville entre leurs mains, ont toujours été depuis assez bien entretenues, et elles suffiraient à arrêter indéfiniment, pourvu qu’on