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beaucoup d’endroits, il est impossible de se tenir debout et il faut marcher courbé, ce qui rend cette excursion très fatigante. Les galeries, toutes poussées en ligne droite et soutenues par des piliers carrés, semblent avoir eu autrefois plusieurs mètres de hauteur ; mais, sans parler des dépôts formés par l’eau qui çà et là suinte de la voûte, les innombrables chauves-souris qui habitent cette humide et chaude retraite ont amoncelé peu à peu à terre une épaisse couche de guano ; ces passages finiront par être tout à fait bouchés par cet amas de fumier dont les cultivateurs du pays, s’ils étaient moins routiniers et moins ignorans, pourraient s’emparer avec avantage. Dans quelques endroits où par exception le rocher ne se dérobe point sous ce noir et glissant tapis, on distingue encore aisément les ornières creusées dans le tuf calcaire par les roues des chariots qui servaient à l’exploitation. Les pierres, taillées en moellons de grosseur ordinaire, sont en beaucoup d’endroits rangées en ordre des deux côtés de la galerie contre les parois, toutes prêtes à être emportées. Il n’y a d’ailleurs rien ici d’effrayant ni de mystérieux ; on peut hardiment s’engager dans le labyrinthe sans le fil d’Ariane, sans autre guide qu’un villageois qui y soit entré quelquefois, et qui puisse indiquer les passages les plus commodes à suivre et les moins obstrués. Quelque chemin enfin que l’on suive, on trouve aisément le bout des galeries, et il est toujours facile de regagner l’entrée. La seule précaution à prendre, c’est de ne point oublier ses allumettes ; éveillées par le bruit de nos voix, les chauves-souris qui s’enlevaient lourdement et nous frappaient le visage de leurs ailes froides et gluantes, éteignirent deux fois nos torches. Pourvu que l’on évite de se trouver égaré dans l’obscurité, le danger est nul. La moindre mine de quelque importance offre un bien autre développement que cette carrière ; celle-ci ne peut étonner que les paysans naïfs et bornés qui ont remplacé sur cette terre les puissantes générations de l’antiquité.

Lors de la guerre de l’indépendance, environ cinq cents familles ont vécu pendant près de trois ans dans le labyrinthe, et en dépit de sa réputation sinistre il les a mieux protégées que ne l’a fait pour d’autres fugitifs la grotte de Melidhoni. Le jour, on sortait, on prenait l’air, on menait paître aux environs les troupeaux et les bêtes de somme ; le soir, bêtes et gens, tout le monde rentrait dans