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duchés allemands, qui pouvaient l’attirer vers eux. Le problème, assez ardu déjà par lui-même, se compliquait encore de la mauvaise volonté de l’Allemagne envers le Danemark. Les grands propriétaires féodaux des duchés ne souffraient point sans un mécontentement visible le voisinage immédiat d’un petit royaume régi par une constitution aussi libérale que celle de 1849. L’Allemagne, surtout la Prusse, jalouse de posséder quelque jour une marine, voyait et voit encore avec ressentiment le meilleur port des côtes méridionales de la Baltique, la rade de Kiel, appartenir au roi de Danemark, duc de Slesvig et de Holstein. C’est un fort dangereux voisinage enfin que celui d’un grand pays qui se sent mal à l’aise, qui voudrait changer sa situation intérieure, et qui ne sait où se prendre. Or tel était à coup sûr jusque dans ces derniers temps le cas de l’Allemagne. Humiliée de n’avoir point de marine, il lui faut le démembrement de la monarchie danoise. Ayant soif d’unité, elle se réjouit de se sentir unie dans un commun sentiment d’hostilité contre un peuple de race différente qui se trouve attaché à ses frontières. « La Prusse a une mission sainte qu’elle doit remplir au nom de l’Allemagne, s’écriait ces jours derniers un pamphlétaire de Berlin. Elle a déjà chassé de nos côtes le Suédois et le Polonais ; il lui reste à expulser le Danois, qui envahit par la conquête le territoire allemand ! » L’Allemagne n’a plus ni souci ni souvenir de Venise et de Posen quand elle songe à ce petit peuple danois qui fait tache sur le domaine prétendu de la grande race germanique ; c’est une terrible chose que ce principe des nationalités, qui se laisse plier à tant d’utiles convenances[1] !

En présence de tant de difficultés, il n’y a pas lieu de s’étonner sans doute si l’œuvre tentée par Frédéric VII n’a pas réussi. La constitution commune promulguée le 2 octobre 1855 dut être abolie pour le Holstein et le Lauenbourg sur la demande de la diète germanique (6 novembre 1858). Elle subsista seulement pour le Danemark propre et le duché de Slesvig, et les derniers actes de Frédéric VII, confirmés par le roi Christian IX dès le lendemain de son avènement, ont eu pour principal but de resserrer cette union politique. À tant de graves épisodes qui ont marqué le règne de Frédéric VII, la constitution libérale du 5 juin 1849, la guerre contre l’Allemagne à propos des duchés de 1848 à 1850, les efforts inutilement tentés pour une constitution commune de toute la monarchie danoise, il faut ajouter l’affaire de la succession. Frédéric VII ne prévoyait pas sans doute tout le bruit qui devait s’élever aussitôt après sa mort sur ce point, qu’il croyait avoir bien et dûment fixé. Deux pensées le préoccupaient à ses derniers instans : la première

  1. Voyez, sur les limites qu’il convient d’assigner à cette vague doctrine, un livre fermement écrit : Du Principe des Nationalités, par M. Louis Joly ; Didier, 1863.