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Frédéric VII, et le roi Christian IX, son successeur, se voit menacé, au nom d’une prétendue légitimité, d’une guerre de succession.


Frédéric VII emporte les regrets sincères de son peuple, et il n’y a pas lieu de s’en étonner. Son règne de quinze années datera dans l’histoire du développement politique et social en Danemark. Il faut se rappeler qu’un mois avant la révolution de février 1848 il promettait une constitution à ses sujets, et que bientôt après, par l’exécution loyale de cette promesse, il y avait en Europe une nation de plus parmi celles que l’exercice bien réglé de la liberté politique a délivrées à jamais de l’absolutisme et placées à la tête des sociétés modernes. La constitution du 5 juin 1849, publiée au milieu même de la guerre que l’Allemagne avait suscitée au Danemark à propos des duchés, se montra libérale jusqu’à donner, ou peu s’en faut, le suffrage universel, et, loin d’enfanter une démocratie désordonnée, elle devint, grâce à l’esprit pratique dont les Danois firent preuve, la garantie de leur nouvelle prospérité. Jamais on ne vit une nationalité jeune et vive rejeter avec plus d’entrain les liens qui l’embarrassaient. L’essor fut manifeste dans la guerre des duchés et sur vingt champs de bataille ; les hostilités une fois terminées, il se poursuivit par un remarquable développement des ressources intérieures. On avait eu jadis des rois demi-allemands dont les sympathies équivoques continuaient et augmentaient la confusion d’élémens disparates ; Frédéric VII au contraire, tout en donnant au Danemark des institutions libres, suscita un développement tout national. Les haines qui séparaient jadis les deux monarchies Scandinaves furent oubliées, et Frédéric VII, après s’être déjà rapproché du roi de Suède Oscar, devint l’ami de Charles XV. Il fallait les voir, aux camps annuels de Scanie, le roi de Suède à la tête d’un régiment danois, le roi de Danemark à la tête d’un régiment suédois, commander alternativement les grandes manœuvres. D’ordinaire le roi Charles XV venait rendre à Frédéric VII sa visite soit au magnifique château de Frédéricsborg, détruit par un incendie, il y a quelques années, au grand chagrin des Danois et de leur souverain, soit au château de Christiansborg, dans Copenhague, où se produisaient alors des démonstrations du plus pur scandinavisme, harangues, chœurs d’étudians, trophées aux couleurs des trois peuples, promenades aux flambeaux, bûchers de torches réunies en faisceaux et lentement consumées aux derniers accens des chants patriotiques. Également épris du glorieux passé des peuples du Nord (on a de Frédéric VII de curieux écrits archéologiques et de Charles XV des Légendes et poèmes. Scandinaves)[1], les deux rois se montraient

  1. M. de Lagrèze en a récemment publié une traduction (1 volume in-18, chez Dentu). On sait que le frère du roi de Suède, le prince Oscar, est aussi un poète distingué.