Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre laquelle il luttait depuis six mois, l’entraînait à la guerre civile. En quittant l’Italie, il était venu à Athènes, où il passait son temps à écouter l’académicien Théomneste et le péripatéticien Cratippe. Plutarque voit dans cette conduite une habile dissimulation. « En secret, dit-il, il préparait la guerre. » Les lettres de Cicéron prouvent au contraire que c’est la guerre qui l’alla chercher. La Thessalie et la Macédoine étaient pleines d’anciens soldats de Pompée qui y étaient restés depuis Pharsale; les îles de la mer Egée, les villes de la Grèce, qui étaient regardées comme des sortes de lieux d’asile pour les exilés, contenaient beaucoup de mécontens qui n’avaient pas voulu plier sous César, et depuis les ides de mars elles étaient le refuge de tous ceux qui fuyaient la domination d’Antoine. Enfin Athènes était peuplée de jeunes gens des plus grandes maisons de Rome, républicains par leur naissance et par leur âge, qui venaient y achever leur éducation. Tous n’attendaient que Brutus pour prendre les armes. A son arrivée, il se fit de tous les côtés un grand et irrésistible mouvement auquel il fut contraint de céder lui-même. Apuleius et Vatinius lui amenèrent les troupes qu’ils commandaient. Les anciens soldats de là Macédoine se réunirent sous les ordres de Q. Hortensius; il en vint tant d’Italie que le consul Pansa finit par se plaindre et menaça d’arrêter au passage les recrues de Brutus. Les étudians d’Athènes, et parmi eux le fils de Cicéron et le jeune Horace, quittèrent leurs études et s’enrôlèrent sous lui. En quelques mois, Brutus était maître de toute la Grèce, et il avait huit légions.

En ce moment, le parti républicain semblait se réveiller partout à la fois. Cicéron avait réussi à Rome plus qu’il ne l’espérait, et trouvé à Antoine des ennemis qui l’avaient battu devant Modène. Brutus venait, on l’a vu, de former une armée importante en Grèce. Cassius parcourait l’Asie, recrutant des légions sur son passage, et tout l’Orient se déclarait pour lui. L’espérance revenait aux plus timides, et il semblait qu’on pouvait tout attendre pour la république du concours de tant de généreux défenseurs. C’est pourtant à ce moment même, où il importait tant d’être uni, qu’éclata entre Cicéron et Brutus le dissentiment le plus grave qui les ait jamais divisés. Quelque déplaisir qu’il nous cause, il faut le raconter, car il achève de les faire bien connaître tous les deux.

Cicéron se plaignit le premier. Cet homme d’ordinaire [si faible, si hésitant, était devenu singulièrement énergique depuis la mort de César. La sagesse, la clémence, la modération, belles qualités qu’il aimait beaucoup et pratiquait volontiers, ne lui semblaient plus convenir aux circonstances où l’on se trouvait. Ce grand preneur des victoires pacifiques prêchait la guerre à tout le monde; cet ami rigoureux de la légalité demandait à tout le monde d’en