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bûcher que son attitude ferme et hautaine en face de l’excommunication, et son refus formel d’allégeance à la papauté. Obéir aux décrets d’Alexandre VI, c’était, disait-il, « obéir au diable, » et il ne visait à rien moins qu’à obtenir des puissances européennes la réunion d’un concile général appelé à déposer l’indigne pontife. L’analyse des mobiles qui le poussaient, des sentimens qui tour à tour l’animèrent, de cette inspiration flottante où la sincérité de l’extase et les entraînemens calculés de la politique se touchent de si près que parfois ils se confondent, devait tenter l’auteur d’Adam Bede, et lui a en effet inspiré quelques pages remarquables. George Eliot nous montre l’âme de son héroïne partagée entre le désir, le besoin de croire encore à Savonarole et les suggestions de ce discernement terrestre « qui juge les choses en faisant une part très modeste aux ressources, à la capacité de l’humaine nature. » Ni dans l’un ni dans l’autre de ces deux ordres d’idées Romola ne trouve une satisfaction complète. Ses propres souvenirs, ses propres observations, datant de l’époque où elle était disciple fidèle, lui disent que la torture seule n’explique pas complètement les rétractations de son ancien maître ; mais sa conscience lui dit aussi que la vie de cet homme n’a manqué ni de pureté ni de grandeur. Elle n’a pas oublié d’ailleurs cette sécheresse désolante, cet appauvrissement moral qui ont coïncidé chez elle avec la diminution de la confiance qu’elle lui accordait, et il lui est impossible d’admettre que ce scepticisme énervant, qui paralysait son âme et la rendait infertile, fût basé sur une solide et saine appréciation de la vérité. Elle se refuse à ne voir que des mensonges dans les paroles inspirées qui naguère lui rendaient une vie nouvelle, et un faux prophète dans cet homme en qui semblaient incarnées les plus nobles et les plus salutaires tendances de notre infirme nature.


« En relisant les confessions imprimées par ordre de la signoria, elle y trouvait à chaque instant la trace d’altérations évidentes, de surcharges et d’interpolations maladroites. Elles avaient cette emphase, cette redondance d’accusations contre soi-même que les plus vils hypocrites se permettent seuls vis-à-vis de leurs semblables. Toutefois, par cela même que ces phrases étaient en opposition flagrante, non-seulement avec le caractère de Savonarole, mais encore avec le ton général de ses aveux, on en était d’autant mieux amené à penser que le texte dans son ensemble reproduisait exactement les paroles tombées des lèvres de l’accusé. Sauf ce qui regardait les prétendues prophéties, on y trouvait à peine un mot qui portât dommage à son honneur. Il expliquait, sans varier jamais dans ses définitions, les plans qu’il avait formés pour Florence, pour l’église et pour le monde entier. Quant aux moyens employés, ils étaient irréprochables, sauf le privilège indûment revendiqué de cette inspiration spéciale qui, une fois admise, lui donnait l’empire des âmes. Bref, — et même en laissant subsister les additions qu’une main malveillante y avait glissées après coup,