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« — Et quand vous aurez pris le temps de réfléchir, ma Romola, je suis sûr que vous m’accorderez mon pardon… — De ses lèvres en même temps il effleurait les joues de la jeune femme, sans qu’elle parût y prendre garde le moins du monde. Elle comprit qu’il ouvrait la porte et s’en allait. La tête penchée, elle écouta : le bruit du grand portail, successivement ouvert et refermé, parvint jusqu’à elle. Aussitôt, comme rendue à la liberté de ses mouvemens, elle s’élança de son siège, et, allant s’agenouiller devant le fauteuil sur lequel se trouvait appuyé le portrait de son père, elle donna cours à ses larmes… »


Éloigné désormais du foyer domestique, où l’attendent incessamment les reproches muets, l’implacable dédain du noble cœur qu’il a déçu, Tito plus que jamais se sent attiré vers Tessa, dont l’attachement aveugle, la docilité sans bornes, la confiance absolue le réconcilient avec lui-même, et auprès de laquelle il n’éprouve ni le sentiment d’infériorité, ni le malaise de conscience par lesquels est miné peu à peu son attachement à Romola. Plus que jamais aussi la vie politique l’attire, et il y porte les mêmes instincts d’égoïsme auxquels nous l’avons vu obéir dans un autre ordre de relations. Il aime, tribun des rues, à se sentir bercé par les applaudissemens d’une foule enthousiaste et crédule ; mais il n’aime pas moins ces banquets de l’aristocratie auxquels l’admettent volontiers les Rucellai, les Tornabuoni, les Pucci, les Ridolfi, partisans secrets des Médicis exilés. De là une conduite ambiguë, des relations équivoques et la tentation perpétuelle de chercher son succès sur deux routes à la fois. Ingrat envers le peuple, qu’il s’amuse à duper par des harangues de carrefour, ingrat envers Savonarole, dont la généreuse intervention a retenu Romola près de son indigne époux, il finit par tourner contre la république florentine l’influence même qu’il tient d’elle et l’autorité des fonctions publiques qu’elle lui a confiées. Aux yeux de ce politique pratique, de cet homme d’état positif, la double réforme de fra Girolamo dans l’ordre civil et dans l’ordre religieux est d’avance frappée de mort. Il ne peut lui entrer dans la tête ni que le clergé italien se purifie, ni que le peuple florentin, depuis si longtemps assoupli à la tyrannie, supporte des institutions franchement démocratiques. Cette opinion, d’accord avec la réalité des faits et que justifie pour lui l’expérience de chaque jour, lui sert de fil conducteur dans le dédale où il s’engage. Encore n’avance-t-il qu’avec des précautions infinies, se ménageant toute sorte d’issues et de faux-fuyans, prenant autant de garanties, donnant aussi peu de gages que possible, et s’arrangeant de manière à se trouver en mesure vis-à-vis du vainqueur futur, quel qu’il puisse être.

Romola au contraire, mûrie et comme épurée par les douleurs de