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leçons des premiers maîtres, et se rendre capables de remporter le prix de Rome. Ce prix exerce un prestige plus grand encore sur les imaginations des habitans de la province. Les villes suivent avec sollicitude leurs enfans, elles sont fières de leur offrir une pension qui les exempte des soucis matériels et leur laisse la liberté du travail : s’ils rapportent la palme, c’est une fête pour tous leurs concitoyens, et on les accueille avec des honneurs et des manifestations qui ne le cèdent qu’aux honneurs rendus par les cités grecques aux athlètes vainqueurs ; mais ces concurrens, que les départemens nous envoient, ils n’arrivent plus jeunes à Paris : il leur a fallu échapper à la conscription, suivre les écoles spéciales de chaque pays, en sortir les premiers, se faire connaître, donner des gages de talent, trouver des protecteurs. Ils ont déjà vingt-trois ans, vingt-quatre ans, lorsqu’une pension leur est accordée, lorsque Paris leur est ouvert. Alors il est nécessaire de reprendre toutes les études, de traverser toutes les épreuves préparatoires, d’écouter les maîtres éminens que l’on n’avait pu trouver dans sa province. Plusieurs années s’écoulent et les vingt-cinq ans sont dépassés avant qu’on soit prêt à disputer la victoire. Désormais ces nobles efforts sont interdits aux villes des départemens : qu’elles épargnent leurs pensions, qu’elles gardent leur jeunesse, qu’elles cessent de mêler leur sève plus lente, mais plus vigoureuse, à la sève hâtive de Paris ! La limite d’âge est un obstacle inexorable, et les prix de Rome deviendront par la force des choses le partage non disputé d’une capitale qui tend à tout absorber.

J’ai laissé échapper le mot de conscription, mot terrible pour ceux qui se vouent au culte de l’art et qui sont pauvres : c’est les honorer que d’ajouter qu’ils le sont presque tous. Si le sort le veut, il faut jeter les pinceaux, laisser le bloc de marbre inachevé, renoncer à la gloire rêvée et à la Muse, qui versait déjà l’inspiration dans le cœur de l’artiste ; on part soldat. Un usage paternel, libéral, juste, avait institué les seconds grands prix : tous ceux qui remportaient les seconds prix de peinture, de sculpture, d’architecture, de gravure, de musique, étaient exemptés de la conscription. L’Institut pouvait ainsi soustraire à la loi les jeunes gens qui, sans mériter encore d’être envoyés à Rome, donnaient cependant de belles espérances et faisaient preuve de talent. Aujourd’hui les seconds prix sont abolis, sans qu’il soit possible d’approuver le motif d’une mesure aussi cruelle. M. de Nieuwerkerke prétend, dans son rapport, que le premier prix n’en aura que plus de valeur, étant unique ; mais le second prix ne servait qu’à exempter du service militaire celui qui l’obtenait, et l’on se demande où est l’avantage d’une suppression qui expose à être moissonnés par la guerre à vingt