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L’Académie des Beaux-Arts au contraire représentait la doctrine, la tradition, et, se perpétuant par l’élection, elle offrait cette règle toujours égale que les Romains appelaient équité, et qui est en pareille matière supérieure à la justice. Ni l’habileté de main, ni le trompe-l’œil, ni les témérités ne faisaient illusion à des professeurs accoutumés à vivre avec la jeunesse qui se presse dans leurs ateliers. Ils ne craignaient pas de se mettre au besoin en désaccord avec les impressions du public et même des critiques de profession, parce qu’ils recherchaient surtout dans les œuvres qui leur étaient soumises les qualités élevées, la force acquise, le tempérament d’artiste, les garanties solides. Rien de plus libéral à la fois et de plus vigilant que ces jugemens où le talent seul, le talent de bon aloi perçait avant l’âge : Ingres obtenait le grand prix à vingt ans ; Pradier, Baudry à vingt et un ans ; David (d’Angers), Dumont, Hébert, Cabanel, Garnier à vingt-deux ans ; Flandrin, Léon Cogniet, Guillaume à vingt-trois ans : les talens désordonnés au contraire, qui avaient beaucoup à corriger ou beaucoup à apprendre, revenaient chaque année meilleurs devant des juges qu’ils savaient ne pouvoir surprendre, et arrivaient au but plus lentement, mais par des efforts salutaires qui les ont faits ce qu’ils sont, je ne crois pas qu’il y eût dans le monde de concours où l’émulation jouât un rôle plus grand et produisît des résultats plus féconds : désormais il est à craindre que ces concours ne ressemblent à une loterie.

En même temps que l’on découragera les jeunes gens, on appauvrira singulièrement le recrutement de l’école de Rome. Dans tous les temps la limite d’âge a été fixée à trente ans, on l’abaissera à vingt-cinq : « Raphaël et Michel-Ange, dit-on, avaient fait des chefs-d’œuvre avant cet âge. » Mais depuis quand le génie, qui n’est qu’une exception, qu’un phénomène répété deux ou trois fois par siècle, sert-il de règle aux autres hommes ? Est-ce pour former des Raphaël et des Michel-Ange que vous fondez une institution ? N’est-ce pas, au contraire, pour suppléer au génie par l’abondance des leçons, l’excitation des esprits, le secours de la tradition, le nombre des maîtres, la variété des talens ? Le génie naît complet comme un rayon de lumière ; le talent est fils du travail et de la patience. Il se peut qu’on possède à vingt-cinq ans les procédés de la peinture et qu’on ait analysé les ressources élémentaires de la palette ; mais le dessin, qui est l’âme de la peinture, le caractère idéal qu’on sait imprimer à la nature, même en la copiant, le style, sans lequel on ne crée rien de durable, on les possède rarement à vingt-cinq ans ; il faut plus de labeur et plus de maturité pour atteindre à cette énergie d’expression, à ce sentiment de la grandeur qu’on emporte en germe à Rome et qui s’y développe. La sculpture, qui est la science