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de ces pérégrinations aventureuses à travers un pays romantique et accidenté, les joies et parfois les entraînemens du rendez-vous, les attaques d’un père ou d’un rival jettent dans ces petits drames du mouvement et de la variété. L’amour en cheveux blancs est encore un thème favori de la chanson écossaise. Le Vieux Robin Gray a été popularisé en France par une imitation assez faible de Florian. John Anderson, my Joe, de Burns, est un reflet heureux de la fable grecque de Philémon et Baucis.


« John Anderson, mon vieux John, nous avons monté la colline ensemble, et nous avons connu l’un avec l’autre plus d’un jour joyeux. Maintenant, John, il faut redescendre ; mais nous cheminerons la main dans la main, et, arrivés au pied, nous y dormirons ensemble, John Anderson, mon vieux John. »


Mais c’est dans la courte chanson de Smyth, intitulée le Père mourant à sa fille, qu’il faut chercher le véritable spécimen de ce que les Anglais appellent songs of affections.


« Tu as marché à mes côtés dans la vie ; tu as été l’ange de mon foyer. Tu savais trouver pour mon fauteuil le coin le plus chaud, et tu faisais entendre à mon oreille un peu dure ce que disait le visiteur, alors que je voyais un sourire errer sur les lèvres des assistans. Quand ma mémoire se fourvoyait, c’est encore toi qui venais à mon secours et qui interprétais ma pensée. Tu as soutenu ma tête quand je me suis couché pour le dernier repos ; enfin à ce moment suprême tu es là pleurant à mon chevet. »


L’antiquaire Ritson se demande en quoi la chanson irlandaise se distingue de l’anglaise, étant écrite dans la même langue par des descendans de colons anglais. On sait en effet, et ce n’est pas un des moindres griefs de l’Irlande, que le Saxon vainqueur lui imposa son langage, proscrivit les anciens bardes du pays, et ne crut pas sa conquête achevée, si elle ne s’étendait à la chanson. « On nous a forcés, dit avec amertume un écrivain irlandais, de chanter nos griefs dans la langue de l’oppresseur ! » Mais le poète populaire a trouvé le moyen de rester national en dépit de la forme étrangère qu’on lui imposait : il a pensé en irlandais, et souvent même jeté dans ses refrains, comme une protestation, quelques mots de cette langue chère et proscrite. Ainsi ont procédé tous ces poètes vraiment nationaux dont il ne faut pas confondre les productions avec les contrefaçons pseudo-irlandaises à l’usage des théâtres de Londres, tous ces poètes irlandais de race, tels que Griffin, Banim, Callagan, Ferguson, Lever, Davis, Walsh, et surtout Mangan, qui s’est bqrné le plus souvent à traduire les vieux caoines ou chants erses conservés traditionnellement dans la mémoire de quelques vieilles femmes et dans les provinces les plus reculées. C’est pour n’avoir