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de ce genre qui fût digne d’être citée. La Chanson du pauvre électeur (the poor voter’s song), qui parut il y a environ vingt ans, dédiée à lord Russell, mériterait d’être populaire :


« Ils me savaient pauvre, et ils m’ont cru vil. Ils m’ont jugé d’après leurs pareils, qui n’adorent que l’ignoble Mammon. Ainsi ils m’ont offert de l’argent pour mon vote, enfans, pour mon vote ! Honte à mes supérieurs (my betters), qui veulent acheter ma conscience !

« Mon vote ! mais il n’est pas à moi, pour que j’en dispose à ma fantaisie. Je le dois à mon pays, et, tant que je pourrai, je le garderai pour le donner au plus digne, comme doit faire un homme, enfans, un homme, entendez-vous ?

« Si j’avalais l’hameçon qu’ont amorcé pour moi de vils corrupteurs, comment oserais-je regarder mes fils en face ? Comment leur montrerais-je le droit chemin, alors que j’entendrais nuit et jour une voix qui me reprocherait mon crime ? Entendez-vous, enfans ? mon crime ! » (Il y en anglais mon péché, my sin.)


Les idées radicales et socialistes ne pouvaient manquer d’avoir leurs interprètes dans un pays qui, dès le temps de Wat Tyler, avait répété le hardi refrain : « Quand Adam bêchait et qu’Eve filait, où était alors le gentilhomme ? » et la chanson populaire offrait un moyen de propagande tout trouvé. Sans parler des Jolly Beggars de Burns et des Luddists de Byron, qui offrent un curieux sujet de comparaison avec les Gueux et les Contrebandiers de Béranger, la Chanson de l’aiguille de Thomas Hood, le Convoi du pauvre de Th. Noël, Gaffer Gray de Th. Holcroft, peignent sans doute d’une manière poignante les misères du peuple. Phœbé Morel la négresse est une protestation contre l’esclavage, inspirée par l’Oncle Tom de Mme Beecher-Stowe. M. Gérard Massey, qui reconnaît pour ses instructeurs politiques Thomas Paine, Volney et Louis Blanc, va un peu plus loin : il est tel de ses refrains audacieux qui rappelle la devise des ouvriers lyonnais : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! » Mais parmi ces chansons un petit nombre seulement a pénétré dans les districts industriels et dans les affiliations d’ouvriers. Les autres ont trouvé des lecteurs plus ou moins sympathiques dans le royaume-uni ; il leur a manqué la consécration de la foule.


III. — CHANSONS ECOSSAISES ET IRLANDAISES.

Le vieil amour des Celtes pour la mélodie et le chant semble avoir donné à l’Ecosse et à l’Irlande ce qu’on a contesté plus ou moins justement à l’Angleterre, une poésie lyrique et une musique nationales. Le nord de la Grande-Bretagne fut toujours renommé