Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

méritait aussi par une réunion de qualités qui lui ont permis de dire avec un légitime orgueil : « Mes chansons ont été considérées comme un objet d’intérêt national ; elles ont été la consolation de nos marins dans les longues traversées, dans les tempêtes, dans les batailles ; on les a invoquées dans les révoltes pour le rétablissement de l’ordre et de la discipline. » Dibdin a réellement pratiqué la philosophie nautique et la morale du petit hunier, titres qu’il a donnés à deux de ses chansons.

La ballade touche de près aux poèmes narratifs tirés de la vie maritime. C’est surtout en Angleterre que ce mot de ballade, appliqué chez nous d’abord à un air de danse, puis à une poésie non chantée, servit à désigner la chanson épique et romanesque. Parmi les plus anciennes, il en est qui se rattachent à la féerie du Nord, que Trilby et Oberon nous ont rendue familière. Robin Goodfellow, ce chef des lutins, dont Shakspeare décrit les malices sans méchanceté en vers d’un charme incomparable, a inspiré plusieurs chansons qui ont reçu la consécration populaire. D’autres, qui touchent de plus près au monde réel, offrent, comme disent nos voisins, de ces touches de nature égales aux plus belles conceptions de l’art. Si nous voulions donner une idée de ces naïfs récits, dont on ne connaît ni la date, ni l’auteur, ni l’origine, mais qui s’imposent aux simples comme aux lettrés avec une séduction irrésistible, parce qu’ils réveillent des sentimens communs à l’humanité tout entière, nous choisirions les Enfans dans les bois, vieille ballade qu’admirait Addison, et qui a fait couler bien des larmes dans les nurseries, thème favori sur lequel on a composé en Angleterre des tableaux, des gravures, des drames, des pantomimes, et, qui le croirait ? jusqu’à des scènes équestres, comme on le voit dans un roman de Dickens. En voici le sujet. Un gentilhomme du comté de Norfolk meurt avec sa femme, laissant deux enfans en bas âge, à savoir un petit garçon de trois ans, beau comme le jour, et Jane, jolie petite fille, plus jeune que son frère. Son oncle, à qui il les confie, conçoit le projet de se défaire d’eux pour avoir leur bien, et un an et un jour se sont à peine écoulés qu’il charge un scélérat de les emmener dans les bois et de les tuer ; mais celui-ci n’en a pas le courage.


« Ils marchaient depuis bien longtemps, bien longtemps, et la nuit venait, et ils avaient faim. — Attendez-moi ici, leur dit-il, je vais vous aller chercher du pain. — Il partit du côté de la ville, mais ils ne le virent plus jamais revenir.

« Et ces deux jolis enfans s’en allaient errant ça et là, se tenant par la main. D’abord ils s’amusèrent à cueillir des fleurs et des mûres sauvages, et leurs petites lèvres de rose en étaient toutes noircies ; mais, quand la nuit devint tout à fait noire, ils s’assirent et se prirent à pleurer.

« Ainsi errèrent ces deux pauvres enfans égarés jusqu’à l’heure où la