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ballades navales de l’Angleterre, donne en tête de son recueil celle qu’il regarde comme la première en date. Elle paraît être du temps de Henri VI : c’est une peinture des tribulations réservées aux pèlerins anglais qui se rendaient par mer à Saint-Jacques de Compostelle. C’est tout à fait le pendant, sauf le théâtre qui est change, de notre Grande chanson des pèlerins de Saint-Jacques. Tous les ans, à cette époque, comme on le voit par une correspondance du temps[1], il partait, des divers ports du sud de la Grande-Bretagne, de nombreux navires, avec des cargaisons de pèlerins qui étaient transportés par entreprise et à forfait ; c’était quelque chose de semblable à nos trains de plaisir, ou plutôt à notre œuvre des pèlerinages en Terre-Sainte, et ce sont les impressions de voyage d’un de ces pieux convois qui ouvrent, d’une manière plus édifiante qu’héroïque, la série des chansons maritimes de l’Angleterre. Il y a telle de ces chansons qui peut passer pour un abrégé des fastes de la marine britannique (why I’m singing). Le narrateur commence à la fameuse Armada, et ne s’arrête qu’à la bataille du Nil. Cette grande croisade catholique du XVIe siècle, où se trouvaient en jeu la foi religieuse et la prépondérance maritime de l’Angleterre et de l’Espagne, agit fortement de part et d’autre sur les passions populaires. Tandis que les señoritas de Séville et de Cordoue chantaient : « Mon frère Bartolo s’en va faire la guerre à la reine Elisabeth ; il me rapportera un petit luthérien la cordeau cou, et une petite Anglaise qui sera ma femme de chambre, » le grand mouvement de la défense nationale inspirait aux poètes d’Albion ces strophes émues :

« Dieu ! lève-toi et protège-nous contre des envahisseurs sans merci, contre les entreprises des méchans. Abats nos ennemis, engloutis leurs puissans navires, brise leur force et leur courage. O Dieu ! lève-toi, et sauve-nous pour l’amour de Jésus-Christ.

« En vain Parme et la cruelle Espagne s’avancent avec leurs légions païennes. 0 Dieu ! lève-toi et sois notre armure. Nous mourrons pour nos foyers ; nous ne changerons pas notre credo pour celui du pape, ni pour ses livres, ni pour ses cloches. Dût Satan venir en personne, nous lui donnerons la chasse et le refoulerons jusqu’au fond de l’enfer. »

Les exploits de sir Francis Drake, de Martin Frobisher, de tout cet essaim d’héroïques aventuriers qui firent redouter le pavillon anglais sur toutes les mers, forment le sujet d’une foule de chants animés et pittoresques. Il y en a un sur la prise de Cadix en 1596 (an excellent song on the winning of Cades), qui respire toute l’ivresse de la victoire, et en même temps, il faut le dire* l’âpre ardeur du butin.

  1. Ellis, Original letters, 2e série, t. 1er, p. 110.