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Cassius lui-même finit par se rendre, car il faut remarquer que, quoique impérieux et hautain, il subissait, lui aussi, l’ascendant de Brutus. Il essaya plusieurs fois de s’y soustraire ; mais, après beaucoup d’emportemens et de menaces, il se sentait vaincu par la froide raison de son ami. C’est donc Brutus qui a vraiment conduit toute l’entreprise.

On le voit bien, et dans la manière dont elle fut conçue et exécutée on retrouve tout à fait son caractère et son tour d’esprit. Nous ne sommes pas ici devant une conjuration ordinaire ; nous n’avons pas affaire à des conspirateurs de métier, à des gens de violence et de coups de main. Ce ne sont pas non plus des ambitieux vulgaires qui convoitent la fortune ou les honneurs d’un autre, ni même des furieux que les haines politiques égarent jusqu’à la frénésie. Ces sentimens sans doute se trouvaient dans le cœur de beaucoup de conjurés, les historiens le disent ; mais Brutus les a forcés à se cacher. Il a tenu à accomplir son action avec une sorte de dignité tranquille. C’est au système seul qu’il en veut ; quant à l’homme, il semble qu’aucune haine ne l’anime contre lui. Après l’avoir frappé, il ne l’outrage pas ; il permet, malgré beaucoup de réclamations, qu’on lui fasse des funérailles et qu’on lise son testament au peuple. Ce qui le préoccupe avant tout, c’est de ne point paraître travailler pour lui ni pour les siens, et d’éviter tout soupçon d’ambition personnelle ou d’intérêt de parti. Telle fut cette conspiration, à laquelle prirent part des gens de caractères très divers, mais qui est tout empreinte de l’esprit même de Brutus. Son influence n’est pas moins sensible sur les événemens qui la suivirent. Il n’agissait pas au hasard, quoique Cicéron l’en ait accusé et que tout le monde le répète ; il s’était fait d’avance une règle de conduite pour l’avenir, il avait un plan bien arrêté. Malheureusement il se trouva que ce plan, conçu dans des réflexions solitaires, loin du commerce et de la connaissance des hommes, ne pouvait pas être appliqué. C’était l’œuvre d’un logicien qui raisonne, qui prétend se conduire au milieu d’une révolution comme en des temps réguliers, et veut introduire le respect étroit de la légalité jusque dans une œuvre de violence. Il reconnut qu’il s’était trompé, et il lui fallut renoncer successivement à tous ses scrupules ; mais, comme il n’avait pas la souplesse du politique qui sait se plier aux nécessités, il céda trop tard, de mauvaise grâce, et en se retournant toujours avec regret vers ces beaux projets qu’il était forcé d’abandonner. C’est de là que vinrent ses hésitations et ses incohérences. On a dit qu’il avait échoué pour n’avoir pas eu d’avance un plan précis ; je crois au contraire qu’il n’a pas réussi pour avoir voulu être trop fidèle, malgré les leçons que lui donnaient les événemens au plan chimérique