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wives of Windsor), les fêtes populaires et religieuses (merry Christmas), car la dévotion même était riante et de bonne humeur. Voyez plutôt ces pèlerins de Cantorbéry, représentant toutes les classes de la société, dont Chaucer fait défiler devant nous la joyeuse procession, et qui tous, comme on l’a remarqué, sont cités pour leur amour du chant, de la musique et de la danse. Une foule de fêtes liées aux souvenirs des saints de l’église romaine, une infinité de passe-temps rustiques fut supprimée par la réforme, sur laquelle le presbytérianisme et le puritanisme ne tardèrent pas à renchérir encore. Tout ce qui ressemble à de la gaîté devint suspect, et fut banni au moins du pays légal, refoulé dans le fond des campagnes ou dans le secret du foyer domestique. La chanson, qui se mêlait à toutes les joies, fut traitée en criminelle d’état. En 1533, proclamation, renouvelée dix ans après, pour supprimer « les rimes, chansons, ballades, et autres fantaisies. » En 1550, acte de l’autorité civile et ecclésiastique en Écosse, qui interdit « toutes rimes et ballades quelconques se rapportant aux choses et aux personnes de l’église catholique. » Il parut même alors un statut de police dont l’existence est attestée par un historien sérieux, Malcolm Laing, lequel enjoignait aux filles et aux garçons de danser dos à dos, « car, y était-il dit, le mélange de chaudes haleines sent fortement la fornication. » Pour remplacer les gais refrains d’autrefois, on composa des « chansons pieuses et spirituelles arrangées sur des rimes profanes, afin d’éviter le péché et le libertinage. » On cite de ces travestissemens des exemples si singuliers que nous ne nous hasarderons pas à les reproduire en français[1]

Vers la même époque, d’autres causes contribuaient à la décadence de la chanson. L’imprimerie, qui fixait les vers et la musique d’abord sur des rouleaux de parchemin, puis dans des recueils nommés garlands, enlevait aux chanteurs une partie de leur prestige et de leur popularité. Aussi voyons-nous l’antique ménestrel, honoré jadis de la protection des princes et des rois, faire place au vulgaire chanteur de ballades, assimilé par un statut d’Elisabeth aux mendians, aux vagabonds et presque aux malfaiteurs. Toute-tefois en Écosse, en Irlande et même en Angleterre, il se perpétua une race de bardes rustiques ou urbains, parmi lesquels on cite Thomas Hogarth, oncle du célèbre peintre, dont le nom s’est conservée

  1. John, kiss me by and by,
    And make no more ado ;
    The lord thy God I am
    That John does thee call.
    John represents man
    By grace celestial, etc.

    (Songs of Scotland, t. Ier, p. 92.)