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la reine Philippine et de la scène pathétique décrite par Froissart, pas un mot. La victoire d’Azincourt (1415) fut célébrée dans plusieurs hymnes ou chansons, dont l’une, recueillie par Percy, a pour refrain :

Deo gratias,
Deo gratias, Anglia, redde pro Victoriâ ;


l’autre, donnée par M. Wright[1], offre cette particularité curieuse, qu’elle a été conservée par un chroniqueur de la ville de Londres, qui commence par enchâsser dans son récit les vers encore reconnaissables de la chanson, puis enfin prend son parti de la donner sous sa véritable forme.

Notre amour-propre national peut prendre sa revanche dans une autre pièce du même recueil, sur les mécontentemens populaires à l’occasion des derniers désastres en France[2], qui fut chantée sans doute peu de temps après la mort de Jeanne d’Arc. Son nom n’y est pas prononcé, mais l’on y déplore soit la mort, soit la défaite de la plupart des capitaines que la vaillante fille avait combattus.

C’est en latin et le plus souvent par des clercs qu’étaient écrites ces innombrables chansons satiriques contre les abus de l’église romaine et les mœurs des moines qui, vers la même époque, préludaient en Angleterre au grand schisme du XVIe siècle. On y reconnaît l’humeur facile des premiers réformateurs anglais, qui, comme Luther, ne haïssaient pas le vin et les refrains joyeux. Un recueil anglais[3] cite une vieille chanson de moine : Ave, color vint clari, qui, dit-il, a résonné jadis dans maint couvent aujourd’hui en ruine, et Walter Mapes, l’auteur de chants satiriques contre Rome, passe en même temps pour avoir composé les fameux couplets bachiques : Mihi est proposition in tabernâ mori. Bientôt cependant la querelle s’envenima ; à cette première génération de réformateurs accommodans il en succéda une autre sombre et fanatique. Dès le XVe siècle, toutes les passions qui animaient Wiclef contre le pape, les sacremens, les biens ecclésiastiques, se firent jour dans les satires rimées et chantées de cette époque. Enfin la réforme, qui affecta peu à peu chez nos voisins les sombres allures de Zwingle, de Knox et de Calvin, ses principaux promoteurs, vint, en altérant le caractère national, frapper la chanson dans ses formes les plus gracieuses. Dans la vieille Angleterre (merry England), tout était joyeux : les compagnons de Robin Hood et ceux des outlaws du border (merry men), les bourgeoises des bonnes villes (merry

  1. Political Poems ans Songs, t.. II, p. 123.
  2. Ibid., p. 221.
  3. Le Gentleman Mazazine de février 1839, p. 77.