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Il est plus difficile de déterminer rigoureusement les conditions financières dans lesquelles fonctionne l’émigration. Non-seulement en effet les convois d’émigrans sont soumis à des prix qui varient avec les marchés des diverses compagnies adjudicataires de ces transports, mais il est un autre élément essentiel de cette appréciation qu’il est impossible de déterminer d’avance : je veux parler de la quantité de travail moyennement obtenue. Sans suivre les fluctuations des prix d’achat ou primes à payer aux compagnies, nous dirons que dans ces dernières années un Indien coûtait environ 400 francs de première mise pour cinq ans, un Africain 500 francs pour dix ans[1], un Chinois 650 francs pour cinq ans, et 800 francs pour huit ans. La caisse coloniale se substituait à l’engagiste pour la majeure partie de ce paiement, et elle se remboursait de ses avances par annuités. La solde stipulée était pour un Indien et un Africain de 12 francs par mois, pour un Chinois de 20 francs. Il ne restait à l’habitant qu’à loger, à vêtir ses engagés, dépense relativement insignifiante, et à les nourrir conformément à certains règlemens. C’est ici qu’intervient dans l’évaluation du travail émigrant le nombre de journées fournies mensuellement, et rien n’est plus variable que cet élément. Jamais d’abord il n’atteint le chiffre de 26 fixé par les contrats d’engagement, il s’élève rarement au-dessus de 20, et il descend fréquemment jusqu’à 10. D’après un relevé consciencieux de M. Monnerot, commissaire d’émigration à la Martinique, on voit que sur 196,000 journées de travail pour les Indiens, 17,000 pour les Africains et 10,000 pour les Chinois, la moyenne mensuelle a été de 15,6 journées pour les premiers, de 14,1 pour les seconds, et de 11,4 pour les troisièmes. Ce relevé, établi d’après les comptes de douze habitations prises dans des conditions différentes, permet de déterminer des prix de revient s’écartant peu de la vérité pour les trois journées de travail. La plus chère sera celle du Chinois à 3 fr. 19 c., puis viendront celle de l’Indien à 2 fr. 14 c, et celle de l’Africain à 1 fr. 88 c.

Ces chiffres n’ont rien d’exorbitant. Aussi n’est-il point douteux que, mieux comprise et mieux pratiquée, l’émigration ne soit pour nos colonies le remède le plus efficace ; nous ne blâmons dans l’application qui en a été faite qu’une tendance rétrograde dont le règne sera probablement passager. À mesure que le courant s’établira entre les Antilles et les divers foyers d’émigrans, on verra quelques

  1. Le prix réel de l’Africain n’est que de 300 francs ; mais le marché d’introduction passé avec la maison Régis, de Marseille, accordait une prime supplémentaire de 200 fr. en cas de rachat de captifs, et ce cas est naturellement d’une application constante sur presque tous les points de la côte d’Afrique. Nous ne parlons d’ailleurs que du passé, car l’émigration africaine aux Antilles est suspendue depuis le 1er juillet 1862.