Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/856

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un souvenir ineffaçable, permettez-moi de vous adorer silencieusement comme une image de l’unique objet à qui j’ai dévoué ma vie.

En prononçant ces paroles avec une profonde émotion, le chevalier s’arrêta tout à coup ; il prit entre ses deux mains la tête de Frédérique, la pressa vivement contre son cœur et déposa un baiser sur ses tresses blondes. La jeune fille en tressaillit jusqu’au fond du cœur, et, dégageant ses bras de la douce étreinte du chevalier, elle les croisa sur la poitrine de Lorenzo et se mit à pleurer.

Un éclat de rire parti d’une autre allée réveilla le chevalier comme d’une extase qui avait surpris sa prudence. Regardant autour de lui avec anxiété, il ne vit personne dans l’allée étroite où ils se trouvaient : les cousines et Mme Du Hautchet avaient disparu. L’on entendait de loin un murmure de voix confuses, parmi lesquelles dominait celle du docteur Thibaut. Remis de l’émotion de surprise qu’il avait éprouvée, le chevalier, sans proférer un mot, et tenant Frédérique par la main, la conduisit dans l’un des nombreux bosquets qui entourent le lac. Ils s’assirent tous deux sur un banc de pierre qui était appuyé contre une statue en marbre représentant Diane chasseresse. L’air était tiède ; le lac resplendissant réfléchissait la lumière blanche de la lune, qui s’égayait au ciel comme si cet astre mystérieux eût été animé d’un esprit de vie, et qu’il eût conscience du rôle bienfaisant qu’il remplit dans la nature. Frédérique était toujours silencieuse, ses deux mains dans celles du chevalier, qui lui dit en s’inclinant vers elle : — Qu’avez-vous ? Vous ai-je blessée par quelque parole indiscrète, et dois-je me retirer ?

— Oh ! non, répondit-elle avec un soupir. Ce qui me chagrine, c’est que vous ne me croyez pas digne d’une affection sérieuse, et que vous ne voyez en moi qu’une enfant sans conséquence qui ne sait trop ce qu’elle dit.

— Je vous crois digne de tous les respects, répliqua le chevalier ; mais, ma chère Frédérique, je ne puis oublier que j’ai le double de votre âge, et que je, n’ai à vous offrir qu’un cœur flétri et une imagination remplie de chimères. Je ne suis rien, je n’ai point de famille, et mon pays est sous l’oppression de l’étranger. Que dirait votre tante la comtesse de Narbal, que diraient vos cousines, que penserait le monde qui nous entoure, si on me voyait empressé auprès de vous qui avez la jeunesse, la beauté, qui êtes couronnée des plus riches dons de l’âme et de la fortune ? On trouverait moyen de m’avilir à vos yeux et de suspecter la sincérité des sentimens que vous m’inspirez. On y verrait un calcul, une basse séduction dont l’idée seule me fait horreur ! Adorable enfant, continua le chevalier en inclinant la tête sur les mains de Frédérique qu’il mouilla de ses