Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/844

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« En 1785, dit Iffland dans ses mémoires, plusieurs pièces furent représentées sur le théâtre de la cour à Schwetzingen. Le jardin charmant, rempli d’une foule de curieux accourus de Manheim, de Spire et d’Heidelberg, présentait un aspect enchanteur. Les personnes qui ne pouvaient trouver de place dans les auberges de Schwetzingen se promenaient dans les allées, portant avec elles leur dîner, et des masses entières se groupaient dans les temples, les bosquets, la mosquée et les berceaux du parc. Le soir, après la représentation, la multitude, en sortant du théâtre, qui est dans le jardin même, se répandait comme un fleuve débordé dans les vastes parterres, et se perdait peu à peu dans les recoins les plus solitaires. Alors les lumières commençaient à briller çà et là à travers les massifs de verdure. Les sociétés se cherchaient, s’appelaient ou échangeaient des signaux. Bientôt la joie et le bruit augmentaient de plus en plus. On entendait des verres qui s’entre-choquaient, les chœurs et les chansons se succédaient pendant toute la nuit, tandis que dans la petite ville de Schwetzingen le bruit joyeux de la musique et des danses retentissait partout, et que les habitans et leurs convives, assis en cercle devant leurs maisons, s’abandonnaient à la plus folle gaîté. On s’en retournait à minuit à Manheim par une route magnifique. Les carrosses se pressaient les uns contre les autres et cherchaient à se dépasser. Les groupes qui étaient dans les voitures de devant appelaient ceux qui restaient en arrière. Les piétons abrégeaient la route en chantant, tandis que ceux qui étaient à cheval en doublaient la longueur en allant et revenant sans cesse sur leurs pas. C’était un bruit de propos aimables et d’éclats de rire, et la nuit tout entière était comme une longue fête de l’esprit. »

Par une chaude et belle soirée du mois d’août, Mme de Narbal invita la société qu’elle avait réunie chez elle à venir se promener dans le jardin de Schwetzingen, Elle avait eu à dîner plusieurs personnes étrangères qui lui avaient été présentées par le docteur Thibaut. M. de Loewenfeld y était avec son fils Wilhelm, jeune homme de vingt-deux ans qui arrivait de l’université, et que la comtesse recevait pour la première fois dans sa maison. M. Rauch et l’inévitable Mme Du Hautchet étaient au nombre des convives. La nuit n’était pas venue encore, et le soleil projetait sur la cime des grands arbres de larges rayons d’or qui s’infiltraient à travers les massifs de verdure et les éclairaient de ces teintes furtives et mélancoliques qui attendrissent le cœur et disposent l’esprit au recueillement. La compagnie se dirigea vers la droite de la grande allée pour visiter le théâtre, qui est construit à l’extrémité de l’orangerie. La salle, encore bien conservée, n’avait pas été ouverte, je crois, depuis les