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« On m’attend à Berlin, l’été prochain, pour y diriger la mise en scène d’Oberon ; mais, hélas ! je ne sais trop ce qui pourrait me décider à me rendre à cette invitation. Du repos, du repos, voilà désormais le bien où j’aspire. Je suis tellement fatigué de toutes les préoccupations de la gloire, de tous les vains bruits qui excitent la vanité, que je ne conçois pas de plus grand bonheur que de vivre obscurément dans un coin comme un simple ouvrier. » La maladie faisant des progrès, il cherchait à cacher à sa femme l’état presque désespéré où il se voyait. « Chère Lina, lui écrivait-il, je dois m’excuser du silence que j’ai gardé avec toi depuis quelque temps. Il m’est si difficile d’écrire ! Mes mains tremblent, et l’impatience agite mon cœur. Tu ne recevras que peu de lettres de moi, et je te prie de ne plus m’adresser les tiennes à Londres, mais à Francfort, poste restante. Cette recommandation t’étonne, n’est-ce pas ? Eh bien, non, je n’irai pas à Paris. Que pourrai-je y faire ? Je ne puis ni marcher ni parler… Il vaut mieux prendre la route directe de la maison par Calais, Bruxelles, Coblentz, et descendre le Rhin jusqu’à Francfort. Quel délicieux voyage ! Si Dieu le permet, j’espère te serrer dans mes bras vers la fin de juin. Je vous embrasse tous du plus profond de mon cœur, ô mes chers enfans ! » Le 2 juin 1826, trois jours avant d’expirer, la main défaillante de Weber traçait ces dernières et touchantes paroles : « Que Dieu vous bénisse et vous conserve tous en bonne santé ! que ne suis-je auprès de vous ! Je t’embrasse mille fois, ô toi la mère chérie de mes enfans ! Conserve-moi ton amour, et pense souvent à ton pauvre Charles, qui t’aime plus que tout au monde[1]. »

Après avoir achevé sa lecture, le chevalier jeta un regard sur celles qui l’écoutaient ; Mme de Narbal et les trois jeunes filles avaient suspendu leur travail. Frédérique avait les yeux pleins de larmes.


II

Le jardin princier de Schwetzingen, derrière lequel s’abritait la belle habitation de Mme de Narbal, était souvent le rendez-vous de la comtesse et de la société qui fréquentait sa maison. Ouvert toute la journée aux visiteurs étrangers et aux habitans de la petite ville dont il est le seul ornement, le jardin ne se fermait que très tard dans la soirée, surtout pour Mme de Narbal, qui avait la liberté d’y rester aussi longtemps qu’elle le trouvait agréable.

En entrant par la porte du château, dont le style n’a rien de remarquable,

  1. Hinterlassene Schriften, écrits posthumes de Charles-Marie de Weber.