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avec une docilité attendrie, et dont la vive imagination s’épanouissait si facilement au souffle de sa parole poétique. Créature aux instincts mobiles et compliqués, mélange captivant de mélancolie et de sérénité, d’intelligence et de sensibilité, d’abandon et de méfiance, au sourire enchanteur, au regard doux et profond, Frédérique avait dans la physionomie et dans tout son maintien quelque chose de l’expression indéfinissable de la Joconde de Léonard de Vinci, de cette Mona Lisa étrange qui a su dérober au plus grand philosophe de la peinture le secret de son âme. Silencieuse et réservée, la musique seule avait le pouvoir d’ébranler son être et d’amener à la surface du cœur des accens qui la surprenaient elle-même. Le chant surtout avait la propriété de vivifier, de transformer la nature un peu indolente de Frédérique, et sa voix sourde qui s’éclaircissait et s’échauffait lentement lui révélait un ordre de sentimens qu’elle n’eût osé ni su exprimer autrement.

E dall’ inganno suo vita riceve.


C’est ainsi que la langue de la fiction éveilla l’étincelle de la vie morale dans ce jeune cœur plein de pressentimens.

Frédérique n’était plus la même vis-à-vis du chevalier ; elle s’efforçait de vaincre sa timidité et de lui exprimer par des attentions délicates le plaisir qu’elle avait à se trouver auprès de lui. Dans la journée, elle s’inquiétait de son absence, et lorsqu’il n’était pas descendu au salon à l’heure habituelle, elle ne craignait pas de demander si M. le chevalier était indisposé. Au retour des petits voyages qu’il faisait à Manheim ou à Heidelberg, elle était toute joyeuse de le revoir et l’accueillait avec un charmant abandon en lui disant parfois sur un ton de bouderie gracieuse : Comme vous vous êtes fait attendre, signor cavalière ! Était-il à se promener seul dans le jardin, elle accourait auprès de lui un livre à la main, sous prétexte de lui demander l’explication d’un passage difficile. C’est Frédérique qui prenait soin de renouveler les fleurs qu’on mettait dans la chambre de Lorenzo, et ces fleurs étaient généralement choisies avec une intention symbolique qu’il ne comprenait pas toujours. Un matin, en ouvrant au hasard le poème de Dante qu’il lisait fréquemment, il en vit tomber une belle fleur qui avait été mise à la page contenant ce vers de l’épisode de Francesca da Rimini :

Quel giorno più non vi leggiammo avante.

Frédérique cherchait souvent à amener la conversation sur Venise pour éveiller dans l’esprit du chevalier des souvenirs qu’elle