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qu’accommoder une méthode plus humble à ses convenances personnelles et aux secrètes incertitudes de son talent ! Choisir, pour peindre la coupole du Val-de-Grâce, les procédés matériels qu’avaient employés aux plus belles époques de l’art Raphaël, Michel-Ange et tant d’autres, c’était déjà promettre au public une œuvre méritoire ; c’était s’emparer d’avance de l’opinion, complètement inexpérimentée en pareille matière, et lui interdire, au nom des précédens historiques, le droit de hasarder quelque critique ou de concevoir quelque scrupule. D’ailleurs, l’entreprise une fois achevée, Mignard et ses amis n’étaient pas gens à s’immobiliser dans l’attente du succès qui devait la récompenser. On parla tant et si haut, les membres de l’académie de Saint-Luc, faisant cause commune avec leur chef, c’est-à-dire avec le principal ennemi de l’académie royale de peinture, applaudirent si bruyamment à cette victoire de la fresque sur ce que Molière appelle « la paresse de l’huile » et sa « traitable méthode, » que l’on crut de la meilleure foi du monde être entré en possession d’un irréprochable chef-d’œuvre parce qu’un mode de peinture inusité avait été introduit dans notre pays.

Les innovations, au surplus, ne se bornaient pas au fait même de cette importation. Tout en renouvelant le procédé technique des exemples de l’Italie, Mignard avait entendu les pratiquer aussi quant à l’ordonnance générale et aux formes de sa composition. La coupole du Val-de-Grâce en effet ne diffère pas seulement de la coupole de l’église des Carmes par les dimensions immenses de la surface qu’il s’agissait de couvrir et par la multitude des figures que le pinceau avait à représenter ; elle en est le démenti en ce sens qu’elle se sépare ouvertement de l’architecture, et que le travail du peintre, au lieu de suivre et de confirmer les lignes du monument, a pour objet, au contraire, de les détruire, en y substituant d’un bout à l’autre un simulacre d’ouverture sur le vide. Par là, comme par le respect un peu exagéré de la perspective verticale dans le dessin des figures, Mignard se rapprochait des doctrines qui prévalaient au-delà des monts depuis la venue du Corrège. Il les continuait avec une bien moindre autorité sans doute, avec une science beaucoup plus suspecte que la science ou l’habileté du maître parmesan, mais aussi, nous l’avons dit, sans cet étalage de facilité pédantesque qui avait fait de l’art italien au XVIIe siècle l’expression de l’esprit d’aventure, de la verve factice et du faux goût.

Les peintures du Val-de-Grâce eurent, entre autres résultats, celui d’assurer à l’artiste qui les avait faites aussi bien qu’à la méthode qu’il avait adoptée le monopole des succès à venir et une influence immense. La décoration des appartemens de l’hôtel d’Hervart, celle de la Galerie principale au palais de Saint-Cloud,