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la figure et la voix d’un don Juan? Comment se fait-il qu’il ait disparu? Est-il mort?

NOIRMONT

Permettez-moi, belle curieuse, de ne pas répondre à tant de questions à la fois. A vrai dire, ce n’était pas par des liens de famille que le duc Pompée tenait à celle à qui il avait permis, en débutant au théâtre, de s’étayer de son nom. Il y a longtemps, voyageant en Italie, il la rencontra à Naples, encore enfant; frappé du charme de sa voix, de sa beauté, de l’intelligence précoce de sa physionomie, il proposa à ses parens de se charger de son éducation. Le duc Pompée a tenu sa parole, et c’est à lui que nous devons cette virtuose merveilleuse. Le duc Pompée était beau, mais d’une beauté fatale à celles qui l’approchaient. Est-ce tout? Ah! j’oubliais ! Après avoir dissipé sa fortune, on dit qu’il est allé mourir en Amérique.

EMMA

Quel dommage ! J’aurais bien aimé à le connaître.

ISABELLE

Je ne vous comprends pas, Emma; il me semble au contraire qu’un tel homme m’aurait fait peur.

NOIRMONT, regardant Herman.

Oh ! avec Henri, vous pouvez braver tous les Pompées de la terre. (On entend la cloche du déjeuner.)

UN DOMESTIQUE

Madame la comtesse est servie.


II.

Le théâtre représente un parc. A gauche du spectateur, une serre avec des gradins couverts de pots de fleurs, la serre avance jusque sur le devant de la scène et en occupe le tiers en largeur; la porte en est ouverte et laisse voir ce qui se passe à l’intérieur. Sur le devant, attenant à la serre, un banc A droite, au fond et dans l’éloignement, un massif d’arbres au milieu duquel s’élève une tour gothique.


SCÈNE PREMIÈRE.
NOIRMONT, seul, en costume de chasse.

Au plus beau moment, quand l’animal sur ses fins commençait à faire tête aux chiens, une pierre se loge dans le sabot de mon cheval, le blesse, et je manque l’hallali; c’est un peu dur. Eh! pourtant j’aurais tort de compter sur les regrets de mes compagnons. Herman et Emma semblaient tout consolés du départ d’une duègne à cheval... Entre une jeune coquette et un ancien libertin, il y a une telle force d’attraction!... N’importe, j’ai conclu aujourd’hui avec Isabelle un pacte d’amitié; je veillerai sur son bonheur.