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impossible, dans une guerre contre la Russie, de ne pas menacer cette puissance du côté de la Turquie et dans la Mer-Noire. En touchant à l’Orient, on force l’Angleterre à prendre parti. Avec de la décision, de la netteté, de l’activité, de la présence d’esprit, avec cette impulsion qu’une forte action engagée imprime à tous les intérêts, avec cette habileté tour à tour énergique et souple qui sait au moment opportun céder ou contraindre, qui ne laisse jamais échapper les détails et domine toujours l’ensemble d’une situation, en utilisant les singulières ressources de secret et d’initiative que la constitution actuelle de la France semble ménager au pouvoir pour lui permettre de tirer profit d’occasions pareilles, on aurait pu et l’on pourrait encore aborder l’entreprise de Pologne avec les plus sérieuses chances de succès et de gloire.

A côté de cette politique d’action, à la façon des maîtres, qui simplifie les grandes affaires en les subordonnant à une unité supérieure, en les définissant et les isolant, il est une autre politique, agissante aussi, mais plus générale, plus vague, plus confuse : nous voulons parler de la politique qui, renonçant à s’attaquer à une question déterminée, serait disposée à traiter toutes les questions qui peuvent éclater en Europe au point de vue d’un système de principes, d’idées et d’intérêts, d’un système qui pour la France ne saurait être que la propagande de la révolution, du libéralisme et du droit des nationalités. La France, sans s’astreindre à une action militaire déterminée, en se réservant de traduire ses idées par la guerre quand elle le voudra, peut toujours devenir le foyer ardent et fécond de cette politique révolutionnaire, et agir fortement par là sur l’Europe continentale. La France a une rare puissance d’excitation et d’entraînement vis-à-vis des causes qui souffrent en Europe et qui réclament le redressement de leurs griefs. Le propre de cette puissance, c’est que la France peut l’exercer en dehors de ses gouvernemens et malgré eux, et qu’elle est capable, quand on ne laisse point d’autre issue à son activité politique, d’en retourner l’énergie contre ses gouvernemens eux-mêmes. Ce sont des situations pleines de hasards et de périls pour tout le monde que celles où notre nation est obligée de recourir ainsi, sans direction déterminée, suivant les caprices de l’imprévu, à l’action révolutionnaire. En de telles circonstances, est-il besoin de le dire? les préoccupations étrangères, bien loin d’être pour la France une diversion, ne peuvent qu’attiser en elle le feu des aspirations de la politique intérieure.

Il y aurait une troisième politique, une politique d’inaction et d’attente, qui consisterait à dire : Puisque la France ne peut pas nouer au dehors des alliances efficaces, puisque personne ne veut agir avec elle, puisque chacun veut se résigner à laisser éclater les difficultés, au lieu de chercher à les prévenir, — eh bien! soit; la France fera comme tout le monde : elle restera chez elle; elle laissera se dérouler partout autour d’elle, spectatrice morose, tous les maux qui résultent des mauvais gouvernemens; elle se repliera sur elle-même, et ne sortira de son recueillement que lorsqu’elle y