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ne fera rien de plus hardi, de plus piquant, Greuze rien de plus suave, et cependant cette peinture reste nette et solide, d’une pâte aussi ferme, aussi dense que si elle sortait des mains d’un Holbein ou d’un Léonard. N’oublions pas enfin, au milieu de ces femmes, nos deux jeunes garçons, nos deux princes, l’aîné surtout, si bien drapé dans son manteau de couleur fauve : costume et carnation, tout dans cette figure soutiendrait la comparaison avec les portraits florentins les plus fins et les plus sévères que le XVe siècle ait produits.

On le voit donc, l’œuvre est considérable : elle a des taches, des lacunes, tout à l’heure nous les indiquerons ; mais pour aborder la question qui nous reste à résoudre, pour découvrir le nom du peintre, ce sont les beautés surtout qu’il faut avoir devant les yeux. Quel homme en France, vers le milieu du XVIe siècle, était capable de peindre un tel tableau avec ce soin, cette conscience, cette habileté magistrale ? Voilà ce qu’il s’agit de chercher.

Était-ce un Italien ? Nous mettons au défi tous les artistes d’outremonts, et la colonie de Fontainebleau tout entière, d’avoir en ce temps-là rien produit de semblable. Aucun d’eux n’aurait pris la peine de travailler ainsi. Ils faisaient fi de la touche serrée ; en Italie, c’était un art perdu. Ces imitations scrupuleuses d’objets inanimés, ces fines ciselures, ces bijoux chatoyans, rendus avec plus d’art et de patience qu’il n’en faut à l’orfèvre pour faire les bijoux eux-mêmes, ces soins minutieux que Léonard et parfois Raphaël daignaient encore s’imposer, ce n’était ni Primatice, ni ses subordonnés, ni aucun de ses compatriotes, sans distinction d’école, qui s’y seraient assujettis. Ils auraient cru tomber dans les misères gothiques, déshonorer leur pinceau. Peu soucieux de la nature, cherchant l’effet, le style, le mouvement, la vie, la vie factice, jamais la vie réelle, ils ne peignaient que de pratique. Ainsi, dans aucune hypothèse, aucun moyen d’admettre que l’auteur du tableau fût un Italien.

Était-ce donc un Flamand, un Flamand italianisé, c’est-à-dire conservant ses aptitudes nationales, réglées, modifiées, adoucies par un séjour en Italie, un Flamand comme Otto Venius par exemple ? Nous devons dire qu’au premier coup d’œil l’idée nous en était venue. L’intelligent visage de la femme à la mantille verte, voisine de Diane, nous avait, malgré nous, fait penser à Otto Venius, ou plutôt au tableau de ce maître qui décore, dans l’église de Saint-Bavon, à Gand, une des chapelles autour du chœur. Aux premiers plans de cette toile, nous nous souvenions d’avoir vu cette même figure, ou peu s’en faut, vêtue de vert pareillement ; mais ce n’était là qu’une coïncidence sans valeur, une illusion aussitôt dissipée par