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l’art, surtout pour l’histoire de notre art national, la découverte, à nôtre avis, est plus rare et plus précieuse encore.

Cette fois, c’est un Lithuanien qui est le possesseur du trésor. M. de Lachnicki a formé dans sa terre de Lachnow, près de la ville de Grodno, une galerie d’un grand prix, nous dit-on : c’est une des richesses de ce petit musée que le tableau dont nous parlons. On peut le voir maintenant à Paris. Il est moins portatif que l’Apollon et Marsyas, on ne le promène pas avec soi sous deux volets d’acajou comme un nécessaire de voyage : c’est un panneau de grande dimension, près de deux mètres de longueur sur plus d’un mètre de haut. Les personnages sont nombreux : on y compte huit femmes, la plupart encore jeunes, un enfant nouveau-né et deux jeunes garçons. Les têtes, un peu plus fortes que demi-nature, sont étudiées avec un soin extrême : elles ont le charme, l’importance et le caractère de portraits.

Si nous consultons les costumes et les détails de toilette, surtout certains bijoux et les chiffres dont ils sont parsemés, la scène doit se passer en France, à la cour et sous le règne de Henri II. Quant au sujet, c’est autre chose, il est beaucoup moins clair, et le mot de l’énigme est encore à trouver. Vous croyez au premier aspect qu’il s’agit d’une scène biblique, que cette grande dame couverte de bijoux, pompeusement assise sous ces ombrages, entourée de tant d’honneurs, doit être pour le moins la fille de Pharaon, et que l’enfant qu’on lui présente est Moïse tiré des eaux. Évidemment c’est là le sujet apparent, le programme avoué; mais est-ce bien le sujet véritable? La fiction n’est-elle pas transparente? Ne voit-on pas que, sous le voile de l’antique légende, c’est une histoire contemporaine que le peintre entend nous donner, et que la Seine, ou la Loire coule, au lieu du Nil, au fond de son tableau?

Et d’abord cette blonde figure vers qui rayonnent tous les regards, cette soi-disant fille de Pharaon, ne nous est-elle pas connue? Ne sont-ce pas des traits que le ciseau de Jean Goujon a immortalisés? Cette expression tout à la fois altière et caressante, ce front impérieux et ces grands yeux baissés, cette ligne du nez si prolongée et pourtant si gracieuse, ce visage d’un ovale si parfait, cette abondante chevelure si bien plantée et relevée si hardiment, est-ce là une beauté banale, une de ces figures qu’invente en se jouant l’imagination d’un peintre? n’est-ce pas au contraire un type à part, tellement particulier qu’il doit se rapporter à une seule personne, et cette personne, sans conteste possible, n’est-elle pas Diane de Poitiers? De tous les portraits authentiques de la duchesse de Valentinois, nous ne craignons pas de le dire, celui-ci doit être le plus vrai, le mieux compris, le plus étudié sur nature, et à défaut de