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officiel. Tous les efforts pour se procurer des mulets de bât pour les transports échouèrent contre les mauvaises dispositions des habitans. Quand un de nos détachemens entrait à Cordova, la population presque tout entière manifestait son hostilité en fuyant à notre approche. Sur la ligne de nos communications, il n’y avait aucun secours à attendre, et jusqu’aux portes de la Vera-Cruz, à la Tejeria, nos postes étaient exposés à être assaillis par des bandes descendues des hauteurs de Jalapa. La terre chaude était infestée d’ennemis.

A Orizaba même, la malveillance se donnait carrière par toute sorte de bruits inquiétans qui ne pouvaient ébranler l’armée, mais qui la tenaient sans cesse en alerte. Le contingent mexicain aurait pu du moins prêter quelque secours, et Marquez se remuait de son mieux pour s’organiser, pour se donner une apparence d’armée. Cependant c’était là encore une charge. Ce contingent mexicain, il fallait l’équiper, le vêtir, l’armer, le nourrir, lui avancer même de l’argent, et, cela fait, on ne pouvait en attendre qu’un médiocre service. Un jour le général Marquez partait avec deux mille cavaliers pour aller protéger un convoi : il n’attendit même pas à la Tejeria le chargement des voitures; il repartit aussitôt, laissant le convoi. Il expliquait son retour précipité par le bruit d’une attaque qui menaçait Orizaba, et la vraie raison était qu’il n’aurait pu retenir ses hommes un jour de plus dans une région où sévissait la fièvre jaune. Peu après il se déclarait hors d’état d’escorter un autre convoi préparé à la Vera-Cruz. Quant aux autres chefs de bandes réactionnaires disséminées dans le reste du pays, ils tenaient la campagne pour eux-mêmes, contre M. Juarez, bien plus qu’ils ne concouraient à nos opérations. C’est à quoi nous servait jusque-là le général Almonte. Comme homme menacé de proscription et de mort en arrivant au Mexique, il devait trouver assurément la protection de notre drapeau; comme chef de gouvernement, il n’était plus qu’un embarras dans la situation difficile où nous étions.

La conséquence la plus grave peut-être de l’événement du 5 mai, c’était l’avantage moral évident que cet échec, donnait soudainement à M. Juarez et à son gouvernement aux yeux du pays. Ils n’en valaient pas mieux à coup sur, mais ils avaient pour eux le prestige d’une victoire remportée sur une intervention qu’ils représentaient comme une invasion, et le parti dominant à Mexico se hâtait d’exagérer, d’exploiter un succès de hasard. Le président lui-même se rendait à Puebla pour distribuer des médailles aux héroïques défenseurs de la nouvelle Saragosse, et lorsque peu après, au mois de septembre, le général Zaragoza mourait subitement, on transportait le vainqueur de Puebla à Mexico, on lui décernait les plus grands honneurs; on avait même l’indignité de mettre à ses pieds un drapeau