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la noche triste, où ils touchèrent à la destruction. L’étoile du conquérant sembla pâlir élevant celle du jeune Guatimozin ; mais bientôt, aidé des alliés qu’il s’était faits et surtout des secours qu’il recevait des possessions espagnoles voisines, Fernand Cortez rentrait en maître dans Mexico et y restait désormais. Des bandes se répandaient dans le pays, allant, d’un côté, jusqu’à la Californie, de l’autre jusqu’à Guatemala. Les populations, frappées d’un superstitieux étonnement devant la chute de la capitale aztèque, accouraient se soumettre, et en deux ans tout était accompli; la domination espagnole était fondée dans cet empire, transformé par l’audacieux génie d’un homme.

Ce n’est plus aujourd’hui le temps des aventures, ou du moins les aventures se proportionnent naturellement à toutes les conditions et au caractère d’un temps nouveau. Elles impliquent mille questions délicates et complexes qui n’existaient pas lorsque ces entreprises pouvaient être l’œuvre d’une énergique initiative individuelle, à une époque où la parole d’un pape partageait entre les premiers conquérans d’immenses territoires, et où les relations d’états à états n’étaient point un système organisé d’antagonisme s’étendant au monde entier. Des idées et des intérêts nouveaux se sont formés; des races nouvelles, mêlées de sang indigène et de sang européen, se sont élevées. A l’ancienne civilisation aztèque ont succédé trois siècles de domination espagnole et un demi-siècle d’anarchie dans une indépendance stérile. Tout a changé moralement et politiquement dans le Nouveau-Monde comme en Europe. M. Benito Juarez n’est ni un Montézuma ni un Guatimozin ; le maréchal Forey n’est point un Fernand Cortez, pas plus que le général Almonte, quoique de naissance indienne, n’est un chef tlascaltèque allié avec nous, entrant avec nous à Mexico. Et cependant n’est-ce pas comme une fatalité singulière qui, à travers les révolutions et les transformations, et dans de bien autres conditions sans doute, a ramené une armée européenne dans cette même voie que s’ouvrait, il y a trois siècles, Fernand Cortez, marchant, lui aussi, le premier entre tous, de Vera-Cruz sur Mexico?

Ces lieux, ces défilés, ces déserts, qui sont toujours des déserts, plus encore peut-être qu’au moment de la découverte, sont ceux que les premiers conquérans ont traversés; ces villes où nous campons, où nous passons, portent le même nom qu’elles reçurent des Espagnols ou qu’elles portaient avant leur arrivée; ces Indiens que nous rencontrons sont les descendans de ceux qui venaient au camp des premiers envahisseurs, et leur condition morale et matérielle n’a pas beaucoup changé. Notre armée retrouve donc partout les traces de Fernand Cortez sur ce chemin de la Vera-Cruz à Mexico qu’il