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une si grande place dans les ouvrages qui nous restent de Cicéron, surtout dans sa correspondance, qu’on y trouve tous les élémens nécessaires pour le bien connaître. Je vais les réunir, et refaire non pas le récit de la vie entière de Brutus, ce qui m’obligerait à insister sur des événemens trop connus, mais seulement l’histoire de ses relations avec Cicéron.


I

Atticus, l’ami de tout le monde, les rapprocha. C’était vers l’an 700, peu de temps après que Cicéron fut revenu de l’exil, et au milieu des troubles que suscitait Clodius, un de ces agitateurs vulgaires comme Catilina, par lesquels César épuisait les forces de l’aristocratie romaine, pour en avoir un jour plus facilement raison. La situation que Cicéron et Brutus occupaient alors dans la république était fort différente. Cicéron avait rempli les fonctions les plus élevées, et y avait rendu d’illustres services. Son talent et sa probité en faisaient un auxiliaire précieux pour le parti aristocratique, auquel il s’était attaché; il n’était pas sans influence auprès du peuple, que charmait sa parole; les provinces l’aimaient, pour l’avoir vu défendre plus d’une fois leurs intérêts contre d’avides gouverneurs, et tout récemment encore l’Italie lui avait prouvé son affection en le portant en triomphe de Brindes à Rome. — Brutus n’avait que trente et un ans; une grande partie de sa vie s’était passée loin de Rome, à Athènes, où l’on savait qu’il s’était livré avec ardeur à l’étude de la philosophie grecque, à Chypre et en Orient, où il avait suivi Caton. Il n’avait encore rempli aucune de ces fonctions qui donnaient une importance politique, et il lui fallait attendre dix ans avant de songer au consulat. Pourtant Brutus était déjà un personnage. Dans ses premières relations avec Cicéron, malgré la distance que mettaient entre eux l’âge et les dignités, c’est Cicéron qui fait les avances, qui ménage Brutus, et qui le prévient. On dirait que ce jeune homme eût fait naître de lui une singulière attente, et qu’on pressentît confusément qu’il était destiné à de grandes choses. Pendant que Cicéron était en Cilicie, Atticus, le pressant de faire droit à quelques demandes de Brutus, lui disait : « Quand vous ne rapporteriez de cette province que son amitié, ce serait beaucoup. » Et Cicéron écrivait de lui à la même époque: « Il est déjà le premier de la jeunesse, il sera bientôt, je l’espère, le premier de la cité. »

Tout en effet semblait promettre à Brutus un grand avenir. Descendant d’une des plus illustres maisons de Rome, neveu de Caton, beau-frère de Cassius et de Lépide, il venait d’épouser une des filles