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le change sur ses intentions, et, à supposer qu’il veuille tenir compte de toutes les demandes, il doit laisser entendre, en multipliant à la veille de l’élection ses largesses et ses promesses, qu’il faut savoir le jour du vote s’en rendre digne. C’est là le mot d’ordre qui se répète de proche en proche et que les maires traduisent à l’envi dans des proclamations qui, du nord au midi, de l’est à l’ouest, reproduisent avec des variantes de phrases la même pensée. Quelquefois même ce système est perfectionné, l’administration est intéressée à s’effacer au profit de ses candidats, et quand ses candidats savent se prêter à jouer leur rôle, elle se décharge volontiers sur eux de la douce tâche de répandre dans leurs tournées des bienfaits qui, sans leur rien coûter, sont destinés apparemment à ne pas obliger des ingrats.

Tels sont les moyens à l’aide desquels les candidatures du gouvernement ont semblé devenir, pour la plupart, les candidatures des gouvernés. Parées en même temps de la majesté d’une institution publique et de la popularité de la bienfaisance locale, considérées à la fois comme inséparables du salut de l’état et du bien-être des populations, ces candidatures ont occupé sans coup férir des retranchemens qui devaient paraître inexpugnables. Aussi la vie politique, tout à coup affaissée après les violentes secousses qu’elle s’était données, a couru plus d’une fois le risque de s’éteindre. Elle ne se signalait plus que par ses défaillances, et aux avant-dernières élections, en 1857, le ministre de l’intérieur se croyait obligé de rappeler aux électeurs leur devoir, en les excusant d’être disposés à s’en dispenser. « Pleins de confiance dans le souverain de leur choix, écrivait M. Billault, ils seraient enclins à s’en rapporter à lui et s’abstiendraient volontiers de prendre part au vote que leur demande le jeu régulier de la constitution. » Les candidats eux-mêmes n’avaient plus d’ardeur à la tâche. Assurés à l’avance d’obtenir les suffrages qui étaient demandés en leur faveur, sans être même obligés de se faire connaître, ils laissaient volontiers les fonctionnaires s’occuper de leur élection, et plus d’un maire, en recevant les instructions pressantes de son préfet, était disposé à dire : C’est pourtant celui-ci qu’on devrait nommer député! D’autre part, le dégoût de la lutte avait atteint presque partout ceux qui se sentaient humiliés de cette indifférence et de ce dédain, et ils se condamnaient à garder le silence comme le repos. Les obstacles opposés à une campagne électorale paraissaient aussi insurmontables et aussi rebutans que ceux dont la Sibylle fait l’énumération à Énée en le détournant de son projet de descendre aux enfers : « Partout d’impénétrables forêts et le rempart des eaux marécageuses du noir Cocyte. Quelques-uns seulement, ajoutait-elle, protégés par la faveur de Jupiter, ou bien élevés au-dessus des autres hommes par leurs éminentes