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forces sur ce point-là ! On revient sans cesse, à tout propos, sous toutes les formes, au détroit de Gibraltar. Quand il eut été démontré par des chiffres que l’état actuel des choses n’autorisait là-bas aucune espérance raisonnable, la compagnie triomphante ne se tint pas encore pour satisfaite ; elle prit à tâche de tourner en dérision cette ambitieuse convoitise. On renvoyait incessamment le Midi à cette conquête herculéenne. On semblait nous montrer les chefs tout effarés de cette compagnie, postés sur un des promontoires du détroit, agitant leurs tarifs et faisant en vain des signaux à la navigation obstinée. On ne tenait même aucun compte de certaines distinctions entre la marine à vapeur et la marine à voile. Quand on rentrait dans une argumentation sérieuse, c’était pour demander au Midi comment il ne réalisait pas avec les lignes actuelles, et au moyen de simplifications faciles à concevoir, cette prise de possession qu’il se flattait d’accomplir sur une grande échelle avec le chemin du littoral. Malgré les doutes que motivaient des questions aussi complexes, il y eut un moment où les impressions publiques semblèrent incliner dans le sens du Midi. C’était au début. Outre le raccourcissement de 45 kilomètres, outre les conquêtes promises au transit à travers la France, on voyait s’ouvrir des perspectives nouvelles pour les régions peu salubres et peu habitées du Bas-Rhône, où le nouveau chemin était destiné à provoquer des travaux d’assainissement, à appeler la population et à donner l’élan aux importantes salines qu’on y rencontre et qui fournissent déjà 120,000 tonnes de produits par année. On ne savait pas encore si les mêmes avantages pourraient être obtenus d’une façon moins coûteuse et moins problématique. Ce n’était pas en vain non plus que le Midi signalait comme devant désormais se trouver comblée la seule lacune existant le long du rivage méditerranéen dans le ruban ferré qui s’y déroule ou qui s’y déroulera bientôt à partir des extrémités méridionales de la péninsule italienne pour se continuer, après avoir traversé la France, jusque sur les côtes espagnoles. Ce fut sous l’influence de ces confiantes dispositions que le Midi obtint l’enquête officielle qu’on lui avait d’abord disputée, et sans laquelle la question n’aurait pu être contradictoirement élucidée, ni la conscience publique entièrement satisfaite.

Avertie par l’échec de sa première tactique, la compagnie de Lyon en adopta une autre d’un caractère tout différent, qu’avaient présagée déjà certaines ouvertures, et dont l’efficacité ne pouvait être douteuse. Cette seconde méthode consistait à neutraliser les avantages promis par des avantages équivalens ou même supérieurs. Une fois sur ce terrain-là, on s’y montre habile à trouver des ressources et prodigue envers les localités intéressées. On s’ingénie et on réussit à