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déjà été entendu dans l’ouverture, Weber, comme toujours, mêle au cri du sentiment, qu’exprime la voix humaine, la peinture du paysage, dont l’orchestre reproduit les bruits, les frémissemens mystérieux. Pendant l’exécution de cet air magnifique, qui fut assez bien rendu par la cantatrice (Mlle Wohlheim), Frédérique parut tout émue. Elle tourna plusieurs fois le regard vers le chevalier, comme si elle eût voulu se raffermir dans l’admiration que lui inspiraient la musique de Weber et la passion naïve d’Agathe, dont elle semblait envier la destinée. Le trio qui vient après pour ténor et deux voix de femmes, entre Max, Agathe et la sémillante Annette, est encore un morceau admirable de vérité et de couleur dramatique. Max raconte à son amie qu’à minuit il doit se rendre à la Gorge-du-Loup, ce dont Agathe et Annette cherchent à le détourner en lui disant que ce lieu funeste est fréquenté par le chasseur noir.

Au fond des bois, parmi les ombres,
Je n’ai jamais connu l’effroi,


répond Max avec intrépidité, et l’orchestre de Weber ne se contente pas d’accompagner la voix avec plus ou moins d’élégance et de variété de formes, comme l’eussent fait Gluck et Mozart : il y ajoute le pittoresque, le bruissement des phénomènes extérieurs, que s’efforce d’imiter le mouvement périodique de la basse et des instrumens à cordes. — Tous les personnages de ce drame naïf, remarqua le chevalier après l’achèvement du trio, ne peuvent faire un pas ni dire un mot sans interroger la nature et sans en décrire les aspects sinistres ou consolans. Ils vivent de la vie générale, ils font partie pour ainsi dire du monde inorganique sans le dominer. Ils l’interrogent incessamment, se troublent ou se rassurent selon le sens qu’ils attachent à ses manifestations. C’est un procédé constant du génie de Weber, qu’on retrouve aussi bien dans Preciosa que dans Euryanthe et les autres ouvrages de ce musicien de la poésie romantique, c’est-à-dire de la poésie de la nature, dont il mêle le langage avec celui des sentimens humains, ce qui ne se rencontre jamais dans Mozart, ni dans Gluck, ni dans aucun musicien dramatique de l’Italie. Une autre qualité précieuse de Weber, c’est d’avoir trouvé pour ainsi dire la mélodie allemande, mélodie courte, mais touchante, toute trempée de rosée et de larmes, d’où s’exhale une profonde mélancolie, comme l’andante du trio que nous venons d’entendre. Et le délicieux badinage de la partie d’Annette, pendant que Max et Agathe expriment les angoisses de leur cœur, n’est-ce pas encore là une propriété du génie de Weber, le seul compositeur dramatique qui ait su créer des caractères facilement reconnaissables ?