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vigoureux que Weber a déployé dans l’air de basse qui excite si fort l’enthousiasme du parterre.

— Il est possible, répondit le chevalier, qu’il y ait dans les œuvres de Bach dont vous parlez, monsieur le maître de chapelle, certains linéamens de style dramatique, certains rhythmes grandioses qui se rapprochent du morceau étrange qui termine ce premier acte du Freyschütz, quoique j’aie de la peine à croire qu’on rencontre dans les conceptions cyclopéennes de ce maître puissant une forme mélodique aussi franche et aussi caractéristique que celle de Weber ; mais j’affirme que le cerveau géométrique du grand Sébastien n’a jamais entrevu dans ses rêves de géant quelque chose qui ressemble au délicieux madrigal que vont chanter tout à l’heure Annette et Agathe. Ces deux jeunes filles d’un caractère si différent, l’une gaie, insouciante et légèrement coquette, l’autre tendre, mélancolique et superstitieuse, comme l’amour chaste et profond qu’elle a dans le cœur, sont une création de l’art et de la poésie modernes. Ce tableau de mœurs où l’on voit scintiller la lumière du jour, où l’on croit respirer les suaves émanations des herbes printanières, cette bucolique du sentiment dans un milieu agreste que reflète le coloris de l’instrumentation, n’existaient pas en musique avant l’avènement de Weber.

Après l’exécution du duo, si bien apprécié par le chevalier Sarti, qui ouvre le second acte du Freyschütz, après l’ariette piquante que chante ensuite la gentille Annette, dont la physionomie gracieuse se trouve reproduite dans la Fatime d’Oberon, vinrent la scène et l’air incomparable qui expriment successivement les sourds pressenti-mens du cœur d’Agathe, sa prière humble et touchante, son invocation au ciel étoile où elle cherche à lire sa destinée, l’élan sublime, — c’est lui ! c’est lui ! — que couronne la radieuse espérance. Le musicien a rendu ces divers mouvemens de l’âme par des phrases différentes étroitement enchaînées les unes aux autres, et dont le contraste même concourt à l’effet général. Dans cet air comme dans les morceaux précédens, Agathe, dont le caractère simple et touchant a tant d’analogie avec celui de la Marguerite de Faust, type profond de la femme allemande dans les conditions inférieures de la société, Agathe interroge aussi la nature avec piété, et son oreille anxieuse n’entend au loin

Que le bruit seul du noir sapin
Que le vent de la nuit balance.


Dans ce passage en ut majeur, qui forme le second mouvement de l’air et qui prépare l’explosion de l’allegro vivace dont le motif a