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inspiration du génie : c’est une admirable conception de l’art, où la douleur et le désespoir du pauvre Max, les conseils perfides de Gaspard et les pieuses exhortations de la foule des paysans sont exprimés par des traits fortement caractérisés, qui se fondent néanmoins dans un ensemble plein d’onction et de sentiment. Quoi de plus touchant que la réponse du chœur aux plaintes désespérées du jeune chasseur Max : — Ah ! renais à l’espérance ! — Cette phrase de vingt mesures où se reflète la conscience sereine du peuple, qui croit à la Providence, ne forme-t-elle pas un contraste saisissant avec les bravades impies de Gaspard, les sons étranges et rocailleux qui les expriment ? La scène et le morceau se terminent par un élan joyeux de la foule se disposant aux plaisirs de la chasse, dont la musique peint les vicissitudes avec un relief et une puissance de coloris dont Beethoven seul avait donné l’exemple dans l’incomparable poème de la Symphonie pastorale. — Divin ! divin ! s’écria le chevalier Sarti ; c’est la forêt enchantée de la légende, la poésie naïve des vieilles chansons populaires de l’enfant au cor merveilleux[1] ; c’est la nature évoquée par un génie familier qu’elle a « bercé sur son sein et qui en parle le langage mystérieux.

— Oh ! oh ! mon cher chevalier, répondit le docteur Thibaut avec sa bonhomie malicieuse, il faut avoir votre imagination pour découvrir dans le beau morceau que nous venons d’entendre tout, ce. que vous désirez nous y faire voir ! Il me semble que l’ouverture du Jeune Henri, de Méhul, mais surtout que la Création et les Saisons, d’Haydn, où la musique pittoresque surabonde même un peu trop, sont des tableaux achevés de la vie champêtre où l’on respire une odeur exquise de thym et de serpolet.

— Ce n’est pas le moment de répondre à votre objection comme il conviendrait de le faire, répliqua le chevalier à demi-voix ; qu’il me suffise de vous faire remarquer que dans l’œuvre que vous citez du père de la musique instrumentale, les Saisons, c’est l’homme qui parle et décrit les beautés finies de la nature appropriées à ses besoins par la volonté de Dieu, tandis que dans la Symphonie pastorale de Beethoven et dans le Freyschütz, c’est la nature elle-même qui intervient et mêle sa voix inconnue jusqu’alors au concert de la vie universelle.

Resté seul sur la scène, qu’enveloppent les ombres de la nuit, Max déplore sa destinée dans un air profond et touchant où l’on retrouve plusieurs passages déjà entendus dans l’ouverture. Pauvre chasseur, habitué dès l’enfance à vivre au milieu des bois, à consulter

  1. Des Knaben Wunderhorn, recueil de chants populaires publiés par Clément Brentano et Achim d’Arnim en 1813.