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bien nous recevoir dans votre appartement, que je ne connais pas, et dont je suis bien aise de voir les dispositions. Les femmes sont curieuses ; elles tiennent surtout à ne rien ignorer de ce qui touche à leurs amis.

— Madame, répondit le chevalier, je suis tout à vos ordres. Je serai très heureux et très honoré de vous recevoir dans mon modeste réduit de voyageur ; mais je ne vous garantis pas que vous y puissiez pénétrer suivie de tout votre cortège. Ainsi qu’un philosophe anglais, Bacon, je crois, je puis me féliciter aujourd’hui d’avoir plus d’amis que ma maison ne peut en contenir.

— Que cela ne vous inquiète pas, chevalier ; nous ne voulons pas vous embarrasser longtemps de notre présence, mais jeter simplement un coup d’œil sur cet ensemble de petits objets muets où l’âme se réfléchit plus fidèlement que dans de vaines paroles.

— Ah ! je comprends, répondit le chevalier en riant, il s’agit, à ce que je vois, d’une perquisition, et vous voulez m’appliquer une sorte de loi des suspects !

— Eh bien ! oui, chevalier, répliqua Mme de Narbal, nous voudrions lire un peu plus avant dans la vie d’un homme qui nous intéresse, et vérifier certain soupçon che nella mente mi raggiona… depuis le soir où vous nous avez chanté cette belle chanson de votre pays :

Nel cor più non mi sento,
Brillar la gioventù.


Avouez qu’il y a là-dessous un mystère ou quelque épisode touchant…

— C’est plus qu’un épisode, madame, c’est l’histoire de toute une vie qui se rattache à la cantilène de Paisiello que vous venez de citer.

— Ah ! j’en étais bien sûre ! répondit Mme de Narbal en pressant affectueusement le bras du chevalier.


II

Au jour fixé, Mme de Narbal avec sa fille, ses deux nièces et l’inévitable Mme Du Hautchet, qui insista beaucoup pour être admise à cette partie de plaisir, se rendirent à Manheim de très bonne heure. Le chevalier, qui les avait précédées, les attendait dans le petit appartement qu’il occupait sur la place du théâtre, dans une maison assez ancienne pour une ville qui ne remonte pas au-delà du XVIIe siècle. Manheim n’était guère qu’un village lorsque le comte palatin Frédéric IV et son fils Frédéric V en firent une place