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contredanses. C’est tout au plus si Hummel et Weber, comme compositeurs de musique de piano, trouvaient grâce devant la rigidité tudesque de ce vieux maître de chapelle, qui jugeait un art de sentiment et de fantaisie avec le cerveau tendu d’un algébriste. Quant à démenti, ce rival de Mozart dans l’art de jouer du clavecin, pour lequel il a composé une œuvre qui est restée classique, M. Rauch ne le mentionnait même pas. La voix de Frédérique, limitée dans son étendue, avait ce caractère de sonorité mixte et modérée qu’on appelle dans les écoles un mezzo-soprano, c’est-à-dire qu’elle n’était ni trop haute ni trop profonde. Le timbre en était un peu sourd, mais chaleureux et passionné. Elle chantait avec plus d’instinct et de sentiment que de méthode. Personne ne lui avait appris à gouverner cette voix rebelle, qui manquait de souplesse, et qui éclatait parfois comme si l’éruption soudaine d’un feu intérieur en eût brisé violemment les ressorts. Cette jeune fille d’une si rare distinction, qui avait passé des années à délier ses doigts avant de pouvoir aborder la plus simple sonate de Haydn ou de Mozart, chantait les morceaux les plus difficiles sans se douter qu’il y eût pour la voix humaine, comme pour toutes nos facultés, des études préliminaires qui disposent l’organe à rendre les impressions de l’âme. Ce fut le chevalier Sarti qui lui fit comprendre toute l’importance de ces études de vocalisation, qui ne sont pas, comme le croient les Allemands, de vains amusemens de l’oreille, mais un ornement indispensable à l’expression de la beauté morale. Partant de ce fait bien simple, le chevalier lui fit entrevoir quelle était en toutes choses la puissance de la méthode, qui économise les forces de l’esprit ; il lui fit apprécier le charme d’un son épuré, d’une voix assouplie et d’une simple mélodie dépouillée d’artifices. C’était lui révéler le caractère général de la musique italienne, que Frédérique ne connaissait pas, et l’introduire dans ce monde lumineux de passions arrêtées et de formes finies où se complaît le génie dramatique des peuples du midi. Les conseils du chevalier, sa conversation mêlée de sentiment et d’imagination, qui touchait facilement à tout, et dont le bon sens, qui en faisait le fond, se dérobait sous la flamme de l’enthousiasme et les fleurs de la poésie, eurent une influence décisive sur les dispositions de Frédérique. Elle le comprit et se sentit heureuse au contact de cet esprit supérieur, qui communiquait à son âme un peu molle et encore flottante l’impulsion dont elle sentait vaguement le besoin.

C’est qu’il y avait deux instincts de nature bien différente qui germaient dans le caractère de cette jeune fille, deux penchans qui semblaient se disputer la possession de son cœur, l’un provenant de l’héritage de son père, homme nouveau qui lui avait infusé quelques