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faire appel à aucune cause finale. En effet, que les innombrables combinaisons de la matière organique à un moment donné rendent un organe sensible à la lumière, comme on rend la plaque du daguerréotype sensible à l’action chimique des rayons lumineux, c’est ce qui peut certainement résulter de la rencontre des causes. Or, ce point accordé, on peut admettre que le nerf doué de cette propriété merveilleuse subisse dans des circonstances diverses un nombre infini de modifications, dont les unes sont utiles, les autres indifférentes ou même nuisibles à l’animal. Celles qui sont désavantageuses doivent à la longue constituer une infériorité pour les espèces où elles se fixent, et réciproquement celles qui sont avantageuses procurent une supériorité manifeste aux espèces qui en sont douées. Les premières tendent à amener la destruction des espèces moins favorisées ; les secondes sont au contraire une cause de durée et de persistance. Il suit de là que les premières doivent disparaître et les secondes se perfectionner indéfiniment. Par conséquent un très grand nombre de degrés de transition dans la structure des yeux a dû déjà disparaître sans laisser de traces, et cependant il en reste encore un très grand nombre, comme on peut le voir par les traités des physiologistes, et surtout de Müller, qui a très profondément étudié cette question. En suivant cette série de degrés, on peut s’élever depuis les yeux les plus simples et les plus imparfaits jusqu’aux plus compliqués. Pourquoi n’admettrait-on pas que telle est la marche qu’a suivie également la nature ?

Il faut reconnaître en effet qu’il y a dans le règne animal une très grande diversité dans la structure des yeux ; Müller en distingue principalement trois classes. Dans la première, il place les yeux simples ou points oculaires, qui consistent simplement en une sorte de bulbe nerveuse sans aucun appareil optique, et qui ne servent, suivant toute apparence, qu’à distinguer le jour de la nuit. Puis il indique deux systèmes différens, qui ont cela de commun toutefois d’être l’un et l’autre des appareils d’optique propres à la perception des images, mais qui sont fondés sur des principes distincts. Le premier est celui des yeux composés, à facettes ou à mosaïque, et qui existent principalement chez les insectes et les crustacés ; le second est celui des yeux à lentilles, que l’on rencontre chez les animaux supérieurs et même chez quelques animaux inférieurs. Le premier de ces deux systèmes consiste, suivant Müller, à placer devant la rétine, et perpendiculairement à elle, une quantité innombrable de cônes transparens, qui ne laissent parvenir à la membrane nerveuse la lumière que dans le sens de leur axe, et absorbent, au moyen du pigment noir dont les parois sont revêtues, toute lumière qui vient les frapper obliquement. Quant au second système,