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l’on dirait en logique, en augmentant sans cesse le contenu de sa compréhension.

Tel est, je crois, dans ses bases essentielles, et sans y rien changer, le système de M. Darwin, système qu’il défend avec des ressources d’esprit vraiment inépuisables, et surtout avec une admirable sincérité, car, à l’inverse des inventeurs de systèmes qui n’exposent que les faits favorables à leurs idées et taisent les faits contraires, M. Darwin consacre la moitié de son livre à exposer les difficultés et les objections que son principe peut soulever, et quelques-unes sont si formidables qu’il a grand’peine à en atténuer la portée. A-t-il été cependant jusqu’à la difficulté capitale qui pèse sur tout le système, et qui pour nous tient notre esprit en suspens ? C’est ce que nous ne croyons pas, et c’est ce que nous essaierons d’établir.

Le véritable écueil, à notre avis, de la théorie de M. Darwin, le point périlleux et glissant, c’est le passage de l’élection artificielle à l’élection naturelle : c’est d’établir qu’une nature aveugle et sans dessein a pu atteindre, par la rencontre des circonstances, le même résultat qu’obtient l’homme par une industrie réfléchie et calculée. Dans l’élection artificielle en effet, ne l’oublions pas, l’homme choisit les élémens de ses combinaisons ; pour atteindre un but désiré, il choisit deux facteurs doués déjà l’un et l’autre du caractère qu’il veut obtenir ou perfectionner. S’il y avait quelque différence entre les deux facteurs, le produit serait incertain et mixte, ou bien, lors même que le caractère de l’un des facteurs y prédominerait, il y serait toujours affaibli par le mélange avec un caractère contraire.

Pour que l’élection naturelle obtînt les mêmes résultats, c’est-à-dire l’accumulation et le perfectionnement d’un caractère quelconque, il faudrait que la nature fût capable de choix ; il faudrait, pour tout dire, que le mâle doué de tel caractère s’unît précisément avec une femelle semblable à lui. Dans ce cas, je reconnais que le multiple de ces deux facteurs aurait la chance d’hériter de ce caractère commun et même d’y ajouter. Il faudrait encore que ce multiple ou produit cherchât dans son espèce un autre individu qui aurait aussi accidentellement atteint ce même caractère. De cette manière, par une suite de choix semblables, la nature pourrait faire ce que fait l’industrie humaine, car elle agirait exactement de même.

Mais qui ne voit que j’évoque une hypothèse impossible ? Car comment admettre qu’un animal qui aura subi une modification accidentelle (une nuance de plus ou de moins dans la couleur par exemple) ira précisément découvrir dans son espèce un autre individu atteint en même temps de la même modification ? Cette modification étant accidentelle et individuelle à l’origine, elle doit être