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entrer dans le détail, ils sont tombés dans le ridicule. Quiconque ose avancer sérieusement qu’un poisson, à force de se tenir au sec, pourrait voir ses écailles se fendiller et se changer en plumes, et devenir lui-même un oiseau, ou qu’un quadrupède, à force de pénétrer dans des voies étroites, de se passer à la filière, pourrait se changer en serpent, ne fait autre chose que prouver la plus profonde ignorance de l’anatomie. »

Je n’insisterai pas plus longtemps d’ailleurs sur la théorie de Lamarck, l’insuffisance en étant démontrée par la théorie même que M. Darwin a essayé d’y substituer. Nous sommes autorisé à mettre en question la puissance modificatrice des milieux et des habitudes lorsque nous entendons ce naturaliste dire « qu’il n’a pas grande confiance en l’action de tels agens. » Quel est celui qu’il leur substitue ? C’est ce qu’il nous faut examiner.


II.


Le fait qui a servi de point de départ au système de M. Darwin est un fait si prosaïque et si vulgaire, qu’un métaphysicien n’eût jamais daigné y jeter les yeux. Il faut pourtant que la métaphysique s’habitue à regarder, non pas seulement au-dessus de nos têtes, mais à nos côtés et à nos pieds. Eh quoi ! Platon n’admettait-il pas qu’il y a une idée divine même du fumier, même de la boue ? Ne dédaignons donc pas d’entrer avec M. Darwin dans les étables des éleveurs, de chercher avec lui les secrets de l’industrie bovine, chevaline, porcine, et, dans ces productions de l’art humain, de découvrir, s’il est possible, les artifices de la nature. Sans doute, lorsqu’il y a plusieurs années, une exposition universelle rassemblait à Paris les plus beaux échantillons de ces diverses industries, lorsque chaque année encore, dans les concours de départemens, on voit décerner des prix aux plus beaux produits de l’élevage, qui eût cru, qui pourrait croire que dans ces expositions et ces concours la théodicée fût intéressée ? Et cependant les faits de la nature se lient les uns aux autres par un lien si subtil et si continu, et les accidens les plus insignifians en apparence sont tellement gouvernés par des raisons générales et permanentes, que rien ne peut être indifférent aux méditations du penseur, surtout des faits qui touchent de si près au mystère de la vie.

L’élève des bestiaux est une véritable industrie, et une industrie qui a des règles précises et rigoureuses, des méthodes suivies. La plus importante de ces méthodes est ce que l’on appelle la méthode de sélection ou d’élection. Voici en quoi elle consiste. Lorsqu’il veut obtenir l’amélioration d’une race dans un sens déterminé, l’éleveur