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La production d’un organe qui n’existe pas peut-elle s’assimiler au développement d’un organe qui existe ? Nous voyons bien que l’exercice augmente les dimensions, la force, la facilité d’action d’un organe, mais non pas qu’il le multiplie et qu’il en change les conditions essentielles. Le saltimbanque a des muscles plus déliés que les autres hommes. En a-t-il d’autres ? en a-t-il plus ? sont-ils disposés différemment ? De bonne foi, si grand que l’on suppose le pouvoir de l’habitude, ce pouvoir peut-il aller jusqu’à la création ?

Je sais que l’on peut invoquer la théorie de l’unité de composition, et soutenir avec les partisans de Geoffroy Saint-Hilaire que tous les organes ne sont au fond qu’un seul et même organe diversement développé, que par conséquent l’exercice et l’habitude ont pu produire successivement, quoique lentement, ces diversités de forme qui ne sont que des différences de développement. Mais la doctrine de l’unité organique poussée jusque-là n’est-elle point elle-même une hypothèse ? Les grandes objections de Cuvier contre cette hypothèse ont-elles été toutes écartées par la science moderne ? L’unité de type et de composition dans la série animale ne serait-elle pas un idéal et un abstrait plutôt que l’expression exacte et positive de la réalité ? Et d’ailleurs suffirait-il de montrer que deux organes différens sont analogues l’un à l’autre, c’est-à-dire, suivant Geoffroy Saint-Hilaire, situés à la même place et liés par les mêmes rapports aux organes avoisinans, pour conclure de là que l’un de ces organes a pu prendre la forme de l’autre ? Non, il faudrait voir cet organe passer lui-même d’une forme à une autre. Autrement l’analogie ne prouve pas la transition. Ainsi par exemple, de ce que la trompe de l’éléphant est l’analogue du nez humain, il ne s’ensuit pas que le nez puisse se changer en trompe, et la trompe se changer en nez. Au reste, Geoffroy Saint-Hilaire a pris soin de séparer lui-même son hypothèse de celle de Lamarck, et il disait spirituellement qu’on peut bien soutenir qu’un palais et une chaumière répondent à un même type fondamental, sans affirmer pour cela que le palais ait commencé par être une chaumière, ni que la chaumière deviendra un palais.

Il est des cas où l’analogie est certaine et la transformation possible, mais où l’on comprend toutefois difficilement comment l’habitude aurait pu produire cette transformation. C’est ainsi qu’il paraît démontré en anatomie comparée, par les recherches de Goethe et d’Oken, que le crâne est l’analogue des vertèbres, qu’il est lui-même une vertèbre élargie et développée. Eh bien ! comment l’habitude a-t-elle pu opérer une pareille métamorphose et changer la vertèbre supérieure de la colonne vertébrale en une cavité capable de contenir l’encéphale ? Voici ce qu’il faudrait supposer : c’est qu’un