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Le 24 février fut pour la France une grande surprise avant de lui apparaître comme un grand malheur, car cette révolution ne s’accomplît que parce que personne ne l’avait estimée possible. De la syncope où s’affaissèrent soudainement toutes les forces sociales sortit un expédient qui s’appela la république. Atteint d’une stérilité organique mal dissimulée sous de pompeuses formules, ce gouvernement républicain, qui contrariait par son essence tous les instincts du pays et par son nom seul alarmait tous les intérêts, n’eut jamais aux yeux des Français que le caractère d’un pouvoir de transition. Aussi n’était-il pas fort difficile de pressentir la série de réactions dont le terme ramènerait enfin l’opinion vers le but dont elle avait été détournée, non par le cours de ses idées, mais par celui des événemens.

Le seul grief sérieux de la France contre le pouvoir tombé sans se défendre au 24 février 1848, ce fut d’avoir rendu une pareille catastrophe possible, où par le vice des institutions ou par les torts des hommes qui les avaient maniées avec peu de mesure et de prévoyance. De là, après la chute de la république en 1852, une disposition générale à croire qu’un remaniement judicieux opéré dans les institutions pourrait abriter le pays contre la chance de révolutions nouvelles, encore que ces institutions, déjà vieilles de plus de trente ans, eussent contracté pour lui l’autorité de l’habitude. Relever le drapeau de la liberté constitutionnelle en le protégeant par un ensemble de nouvelles mesures contre le péril des surprises et contre celui des rivalités personnelles, telle a donc été la pensée de la France, non pas précisément au lendemain du coup d’état du 2 décembre, mais sitôt qu’elle a commencé à sortir de sa longue prostration sous l’abri d’un pouvoir désormais incontesté.


III

Telle est, ramenée à sa plus simple expression, et observée dans ses rapports avec rétablissement d’un régime de vraie liberté, l’histoire de la pensée politique en France depuis que la nation a été appelée à exercer quelque influence sur ses destinées par l’expression de sa volonté. L’idée qui se fit jour aux grands comices de 89, et que nous avons entendu invoquer par la dictature elle-même, imprime à ce tableau le sceau d’une magnifique unité, car jamais peuple n’a été plus obstiné dans la poursuite de ses espérances, lors même que celles-ci ont paru le tromper. Tant que l’idée de 89 résiste à l’assaut dès factions, et qu’elle domine dans les assemblées représentatives, des transformations réputées impossibles s’opèrent avec une facilité surhumaine. Quand l’anarchie ou le despotisme