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demandé que bien plus tard en nous promenant, appuyés l’un à l’autre, dans cette allée à l’extrémité de laquelle se dresse le sphinx providentiel. Félix s’est souvenu alors qu’il avait, lui aussi, placé son mouchoir sur le piédestal, pendant la partie de balle; l’étourdi, en s’éloignant, aura pris le mien à la place, et l’entraînement du jeu m’aura empêché de remarquer l’échange. Plus tard, bien persuadée que l’anneau avait dû se perdre dans les bois ou dans l’allée, je n’ai pas songé à vérifier s’il se trouvait dans un autre mouchoir que le mien, où j’étais bien sûre de l’avoir caché...

Au retour des chasseurs, mon second père, tout heureux de l’union projetée, voulait la leur annoncer sans retard. La comtesse n’a pas jugé qu’il fût convenable de communiquer cette nouvelle à personne avant qu’Edmond, le chef futur de la famille, eût connu et ratifié l’engagement mutuel qui nous lie désormais, son frère et moi.

Edmond cependant n’avait pas reparu. Le retour de nos hôtes, les apprêts du souper, le tumulte et le désordre qui régnaient dans le château n’avaient pas tout d’abord permis qu’on fît attention à son absence. Quand on s’informa de lui, aucun domestique ne put fournir le moindre renseignement, sauf un jardinier qui prétendait l’avoir aperçu derrière les charmilles du jeu de boule. Un des chasseurs raconta qu’Edmond, immédiatement après l’hallali, s’était éloigné au petit galop, prétextant quelque chose à voir dans les environs, et, pomme on fait en ce moment le cadastre du domaine, cette excuse n’avait rien que de plausible. Elle nous rassura tous, et les chasseurs affamés se mirent à manger comme des ogres. Le comte était tout entier aux devoirs de l’hospitalité, mais notre mère conservait une physionomie soucieuse qui me parut de mauvais augure. Vers la fin du repas, une certaine agitation se manifesta parmi les valets, et l’un d’eux vint parler bas à l’oreille du comte, qui, devenu tout à coup fort pâle, voulut se lever pour quitter la table. Quand il vit la comtesse déjà debout se disposer à le suivre, il se rassit et fit comparaître devant lui le groom d’Edmond, qui entra tout effaré, porteur des plus tristes nouvelles. Le cheval de son maître venait, disait-il, de rentrer à l’écurie selle vide, brides rompues et les flancs couverts d’écume. A peine eus-je le temps de recevoir dans mes bras la comtesse évanouie. Félix, tête nue, s’élança hors de la salle. Les chasseurs le suivirent en courant, et quelques minutes après une trentaine de cavaliers, maîtres et serviteurs, chacun portant une torche allumée, s’éparpillaient autour du château dans toutes les directions. On les voyait au loin parmi les bois ténébreux passer, disparaître, se montrer à nouveau comme autant de feux follets. Quelle nuit, Teresa ! quelle nuit affreuse!

Au point du jour, quelques-uns revinrent, pâles de fatigue, hâves