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disparu. On apercevait seulement au-dessus de l’eau une main qui s’agitait, et à l’annulaire de cette main la même bague qui figurait d’une manière si importante dans les trois tableaux précédens.

Venaient ensuite les symboles relatifs à la migration de l’âme d’Amasis. On la voyait s’envoler du cœur du défunt sous la forme d’un oiseau[1] portant à son bec la clé sacrée des mythes religieux. Anubis, le messager des dieux, reconnaissable à sa tête de chacal, venait devant le tribunal d’Osiris, déposer dans le plateau des bonnes actions, à côté de la plume symbolique, l’anneau royal auquel faisaient allusion tous les tableaux antérieurs. Sous ce poids inusité, le plateau du bien s’affaissait, celui du mal s’élevait d’autant, et l’âme sortait victorieuse de l’épreuve décisive.

Une circonstance particulière ajoutait à l’intérêt avec lequel notre jeune égyptologue s’efforçait de pénétrer le sens du mystérieux papyrus. À l’index de la main droite, la momie qu’il avait devant lui portait un anneau dans lequel était incrustée une améthyste d’une grandeur et d’une beauté remarquables, et on retrouvait sur cette améthyste des caractères exactement semblables à ceux dont Thoth se servait sur le papyrus pour enregistrer l’arrêt des dieux.

L’attention du jeune comte était si fortement engagée plans le travail auquel il se livrait, que les objets extérieurs semblaient avoir perdu toute prise sur ses sens. Il ne s’aperçut donc pas, qu’un homme survenu à petit bruit et débouta côté de lui le contemplait d’un air triste, les bras croisés sur sa poitrine, dans un silence profond. Il ne s’en aperçut du moins que lorsque le soleil, en s’abaissant à l’horizon, projeta sur le papyrus l’ombre allongée du nouveau-venu. Levant alors les yeux, il vit en face de lui, drapé dans son burnous blanc à larges plis, un de ces jeunes cheiks kabyles dont les audacieuses razzias inspirent tant de craintes aux voyageurs du désert. Dans son immobilité sculpturale, et grâce au contraste de son visage fauve sur la blancheur du tissu qui l’encadrait, on eût dit une statue de marbre et de bronze. Le premier mouvement du comte fut de porter vivement la main vers la carabine à deux coups dont il ne se séparait guère pendant ses expéditions en pays perdu ; mais il ne put s’empêcher de rougir en voyant la physionomie du jeune Arabe exprimer à l’instant même, un tranquille dédain. Au fait, si ce dernier eût nourri des projets hostiles, rien ne l’eût empêché de les réaliser par surprise, avec toute chance de succès. Pour toute réponse à cette méfiance irréfléchie, et plutôt avec l’accent du conseil que celui du reproche, le Kabyle, s’exprimant en langue franque, prononça ces simples paroles :

  1. Cet oiseau est une espèce de faucon, le baith des Égyptiens, appelé baz dans les autres langues de l’Orient. Il est assez curieux que les Allemands de nos jours aient encore le mot de beize pour désigner la chasse au faucon.