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un ardent désir d’aller scruter de près les vestiges de ce monde à jamais évanoui. A Paris, où il se rendit après avoir quitté Londres et où Champollion lui-même lui expliqua les divers monumens que le général Bonaparte avait rapportés de la terre des Pharaons, il sentit son désir s’accroître encore, et quelques semaines après il remontait le Nil à bord d’une cange équipée à ses frais, en compagnie d’un drogman que le consul d’Angleterre lui avait recommandé, avec son Hérodote, son Strabon, et un firman tout spécial obtenu à Constantinople. Du journal de ses explorations scientifiques, tenu sans doute avec l’exactitude la plus scrupuleuse, quelques pages seules avaient été détachées pour moi par le comte R..., et l’analyse en doit trouver place ici.

Le voyageur est à Thèbes, sur cette immense terrasse de brique où se dresse, faisant face au Nil, le temple d’Ammon Chnouphis, colossale construction à laquelle on arrive par une avenue bordée de six cents sphinx énormes, et dont chaque salle, supportée par cent trente-quatre colonnes, renfermerait aisément une cathédrale du moyen âge. En vertu du firman qui autorisait ses fouilles, le comte Edmond avait réparti plusieurs escouades d’ouvriers sur divers points des catacombes voisines du temple. Lui-même, pour travailler plus à son aise, s’était retiré sur la terrasse, et du byssus qui la protégeait contre l’outrage des siècles il venait de dégager la momie d’un jeune homme, de quelque rejeton royal, selon toute apparence. La conservation de cette relique était aussi parfaite qu’on la pût souhaiter, et ce fut quelque chose d’étrange à voir que le tête-à-tête silencieux de ces deux jeunes gens, l’un mort depuis trois mille ans peut-être, l’autre dans tout l’éclat de la vie, qui semblaient s’interroger du regard, surpris de se trouver en présence. De même que dans la fleur flétrie un botaniste exercé retrouve l’élégance de type et la richesse de coloris qui la caractérisèrent autrefois, de même, par l’effet d’un instinct particulier que des études assidues commençaient à développer en lui, Edmond en était venu à pouvoir reconstituer dans son imagination, devant une momie desséchée, l’être vivant qu’elle fut jadis. Ce fils de roi qu’il venait d’arracher aux ténèbres d’une crypte égyptienne lui apparaissait dans toute la mélancolique beauté de la jeunesse moissonnée avant terme.

Suivant un usage universellement adopté, un papyrus était joint à la momie, et ce papyrus, Edmond travaillait à le déchiffrer. Il lui était souvent arrivé, par intuition plutôt que par un travail assidu, d’interpréter avec succès les images hiéroglyphiques où se trouvait, symbolisée sous des formes qui varient peu, l’histoire de la migration de l’âme après la mort à partir du moment où elle quitte la dépouille charnelle jusqu’à celui où elle se présente, escortée