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tenir la promesse obtenue par la mourante. La petite Juliette cependant fut conduite au château de L..., et prit dans la famille du comte la place que la mort de Marie avait laissée vide. Quant à son père, il eut bientôt oublié dans le tourbillon de sa vie de plaisirs la double perte qu’il venait de faire. Son immense fortune fut dissipée en peu d’années, et, se trouvant alors presque insolvable en face de créanciers pressans, il conclut avec eux des arrangemens par suite desquels il fut réduit à prendre du service actif dans l’armée impériale. Ce fut ainsi qu’il joua son rôle à la bataille d’Aspern, où une balle vint l’étendre mort à la tête de son régiment.

Tuteur désigné de l’orpheline, le comte Arthur parvint à sauver quelques débris de la fortune dont elle était frustrée, et Juliette grandit dans le château de L..., entre les deux fils du comte, admise dans la famille au même titre qu’eux, les regardant comme ses frères, et portant à ses parens adoptifs une affection toute filiale sur laquelle aucun souvenir étranger n’avait jamais fait planer le moindre nuage. Aimée de chacun parce qu’elle était essentiellement aimante, tout contribuait à développer en elle ce qui était le trait caractéristique de sa belle nature, cette croyance en autrui, cette confiance généreuse, apanage de toute âme sincère.

L’éducation d’Edmond s’était faite sous les yeux de son père et l’avait mis à part de tout contact avec les enfans de son âge; il lui devait des habitudes d’esprit prématurément sérieuses, qui, jointes à sa supériorité d’âge, lui donnaient vis-à-vis de son frère et de sa sœur adoptive, dont il protégeait les jeux sans s’y mêler, une sorte d’autorité paternelle. Félix et Juliette regardaient avec une espèce de vénération ce jeune savant ambitieux, strictement docile à toutes les inspirations du devoir, et qui n’avait pas voulu laisser tomber dans des mains étrangères l’éducation de ces deux petits êtres, ses élèves dès le berceau. Son ascendant sur eux était immense. Félix se sentait fier d’avoir un pareil frère, et Juliette regardait Edmond avec cette ardeur romanesque à laquelle s’abandonnent si volontiers les jeunes filles naturellement enthousiastes. Les années s’écoulaient cependant, années de paisibles études et d’innocentes joies sur lesquelles nous ne nous arrêterons pas. Le jour vint où Félix, qui se destinait à la carrière militaire, dut entrer dans une des écoles où l’on s’y prépare. Edmond profita de la liberté qui lui était ainsi rendue pour commencer une série de voyages dont celui d’Angleterre fut en quelque sorte la préface. C’était le moment où les merveilles du monde oriental commençaient à exciter la curiosité des savans d’Europe. Admis à visiter les riches collections du British Museum, Edmond ne se trouva pas impunément face à face avec les mystiques souvenirs de l’ère égyptienne. Il entrevit au bord du Nil le berceau probable de toutes les connaissances humaines, et conçut