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prouve que toutes mes résistances ont été, vaincues. J’ai dû céder à un ascendant supérieur, et me voici...

Je ne saurais décrire l’espèce de tremblement intérieur dont je me sentis saisi en écoutant ces paroles, prononcées avec l’accent de la simplicité la plus vraie. Un aveu pareil, fait par un homme que je savais à la fois doué d’un orgueil très susceptible et fort habile à déguiser, à réprimer les plus vives émotions, modifia brusquement le cours de mes pensées. Les confidences qu’il m’annonçait, et dont j’avais eu soif si longtemps, m’inspiraient maintenant une véritable répugnance. Je me refusais intérieurement à la responsabilité qu’elles allaient faire peser sur moi, et mon silence gêné, mon air contraint, le firent sans doute comprendre au comte, qui reprit après une pause momentanée : — Je ne crois pas me tromper; trop de circonstances diverses ont pesé sur ma résolution pour qu’elles ne soient pas l’œuvre du destin. Pendant ces dernières années, votre nom a été sans cesse ramené sous mes yeux, sans cesse il retentissait à mes oreilles. Dernièrement encore, enveloppant je ne sais, quelles nouveautés futiles que mon libraire m’avait fait passer, un lambeau de papier imprimé arrêta tout à coup mes regards; j’y lus ces mots, qui m’apparurent comme un oracle écrit sur la muraille en caractères flamboyans, et qui depuis lors n’ont cessé de me hanter : « La vision existe pour le voyant, mais pour lui seul. Elle présuppose son action. Isolée, toute une série de pensées criminelles, sans résultante dans l’ordre des faits, ne saurait produire des apparitions permanentes ou périodiques. Du moins n’ai-je rien connu de pareil. » Peut-être avez-vous sondé assez avant les secrets, de ma vie pour deviner l’impression que ce passage produisit sur moi. Je me hâtai de demander l’ouvrage auquel appartenait le fragment que j’avais sous les yeux. A peine me fut-il arrivé que j’en interrogeai avidement le titre. Le nom de l’auteur s’y trouvait, et ce nom était le vôtre... Maintenant, recommença-t-il après s’être interrompu tout à coup et voyant que je continuais à me taire, nous aborderons, s’il vous plaît, le sujet de ma visite. Ce, cas, particulier dont, votre expérience médicale ne vous fournit aucun exemple, c’est moi… moi, vous dis-je,... qui vais vous l’offrir....

Tout en parlant ainsi, le comte avait porté la main à son front comme s’il redoutait que ce front n’éclatât sous l’effort d’une pénible révélation. — Je n’ai plus longtemps à vivre, poursuivit-il, et je dois me mettre en règle vis-à-vis de tous. S’il est vrai que la connaissance du mal importe à ceux qui veulent faire le bien, vous avez droit à cette confession suprême. Épargnez-moi seulement ce qu’elle aurait de trop pénible, et ne me demandez pas d’être votre guide sur cet épineux sentier où les traces sanglantes d’un voyageur