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la mesure avec laquelle il convient de pondérer ces deux élémens l’un par l’autre. Si les divers pouvoirs qui succédèrent au premier empire ne se sont pas assez inquiétés du tempérament national, l’empereur de son côté abusa de ce ressort au point d’en arriver à prendre la génération de 89 pour l’instrument passif d’une politique néo-carlovingienne. Ne communiquant plus avec la nation que par l’armée, placé par sa toute-puissance dans un isolement qui ne lui fut pas moins funeste au dedans qu’au dehors, il apprit, à l’heure fatale où une telle expérience ne pouvait plus lui profiter, que les idées ne reculent jamais en France, lors même qu’on en perd la trace, et qu’elles y reprennent toujours avec usure le terrain perdu. En 1815, le chef de la nation militaire se retrouva tout à coup en face de la nation politique qu’il croyait avoir anéantie, et ce règne héroïque finit par l’amère déception des cent jours, qui signala la réaction triomphante de l’esprit sur le tempérament national.

Quelle avait été cependant la véritable pensée de la France, lorsqu’elle plaça la couronne sur le front du jeune pacificateur de l’Europe ? Que lui avait-elle demandé, en consentant à confondre son avenir avec celui de sa race ? Cette pensée fut si vite méconnue, elle a. laissé si peu de trace dans les événemens, qu’on éprouve une sorte de surprise en en retrouvant l’expression précise et concordante dans tous les documens législatifs comme dans tous les écrits du temps. La France attendait en 1804 ce qu’elle avait voulu en 1789 et en 1791, ce qu’elle souhaita plus résolument encore à la chute du premier empire, et ce qu’elle attend aujourd’hui de la stabilité du second. Conséquente avec elle-même à la veille du jour où ses vœux allaient recevoir un éclatant démenti, elle souhaitait une monarchie héréditaire et constitutionnelle avec des élections, une presse et une tribune sérieusement libres, des finances fortement contrôlées, et surtout un pouvoir exercé par des ministres responsables. Je me hâte, en énonçant ces énormités, de m’abriter derrière des textes dont l’abondance ne laisse d’ailleurs que l’embarras du choix. « La France, disait le tribunat, du sein duquel était partie la proposition d’élever le premier consul au trône, la France doit attendre de la famille de Bonaparte plus que d’aucune autre le maintien des droits et de la liberté du peuple qui la choisit et toutes les institutions propres à les garantir[1]. » — « Les Français ont conquis la liberté, disait le sénat en adoptant cette proposition ; ils veulent conserver leur conquête, ils veulent le repos après la victoire. Ce repos glorieux, ils le devront au gouvernement héréditaire d’un seul, qui, élevé au-dessus de tous, défende la liberté publique,

  1. 3 mai 1804.