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et qu’il exerça une forte influence sur les études médicales auxquelles j’allais alors me livrer. Elles eurent désormais pour but de me procurer ces leviers à l’aide desquels on forcerait l’accès du mystérieux atelier où s’élabore la pensée humaine. Elles se concentrèrent sur ce point de l’organisme vital où se réunissent pour se séparer ensuite, les deux ordres de facultés qui constituent notre nature. A quoi bon nous le dissimuler en effet? Ni l’intelligence ni le corps ne se peuvent considérer isolément. Vainement combattrons-nous la fièvre à force de quinine, si nous ne trouvons un opiat, un calmant pour le cerveau surexcité. Tout aussi vainement verserions-nous un baume moral sur une plaie de l’esprit, si nous ne pouvons, en guérissant le corps, rendre à la volonté l’énergie propre et les états qui lui manquent. De là une nécessité impérieuse, celle d’étudier à fond les conditions d’alliance qui permettent d’équilibrer les différentes fonctions dynamiques de la vie; allerius sic altera poscit opem...

Mais je m’aperçois que je me laisse envahir par les préoccupations professionnelles qui remplirent à Paris deux années de ma jeunesse. Pendant ces deux ans consacrés à étudier auprès des maîtres de la science, je visitai maint asile d’aliénés, je m’assis mainte fois au chevet des malades torturés par la fièvre, cherchant à surprendre les secrets de leur délire. De mes propres sensations je fis une étude assidue, nonobstant les difficultés que présentent ces opérations métaphysiques où l’intelligence est à la fois le sujet et l’instrument. Ainsi, — qu’on me laisse en donner une idée, — mon domestique avait ordre de m’éveiller la nuit à diverses reprises, pour me mettre à même de surprendre la marche furtive de mes propres rêves. Je voulais constatant mes impressions dans toute leur vivacité, comparer l’influence des différentes heures et des conditions différentes auxquelles le corps est successivement soumis. Ces observations devaient me fournir la matière d’un traité de psychologie que je me réservais de compléter à loisir dans la force et la maturité de l’âge.

Je n’en étais pas moins hanté de temps à autre par le souvenir du mystérieux personnage dont j’ai parlé. Une sorte de rancune bizarre me poussait à vouloir pénétrer dans sa vie intérieure, comme il était lui-même entré dans la mienne. Le tourment qu’il infligeait à ma curiosité se transformait à mes yeux en un droit légitime sur tous les secrets de sa vie, et comme je ne manquais ni de loisirs ni de ressources pécuniaires, je me donnai plus d’une fois la mission de retrouver dans le monde parisien, qui ne m’était pas entièrement fermé, les traces du comte et de la comtesse R... Mes recherches cependant furent vaines. Je m’informai à toutes les ambassades, je m’enquis dans tous les grands hôtels et chez tous les