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Depuis un siècle, la côte d’Arcachon n’a guère moins changé que la péninsule du cap. Érodée par le courant, elle n’a cessé de reculer vers l’est, tantôt d’une manière presque imperceptible, tantôt avec une effrayante rapidité. Depuis 1768, la plage a perdu 2 kilomètres de largeur moyenne sur une longueur totale de 12 kilomètres entre Arcachon et la pointe du Sud : là où se trouve maintenant le rivage extérieur du cap Ferret se développait autrefois le littoral du continent. La partie de la côte sur laquelle se construisent les gracieux chalets de la ville est elle-même menacée, et si on ne la consolidait pas au moyen de travaux d’art contre l’action du courant latéral qui vient la ronger, elle se fondrait dune après dune, et disparaîtrait tôt ou tard dans les flots. Il y a quelques années à peine, elle était attaquée par les eaux de marée sur une longueur de plusieurs kilomètres, et les propriétaires riverains voyaient avec terreur la vague inexorable se rapprocher de leurs maisons. Actuellement les plages voisines d’Arcachon ne sont plus érodées ; mais à quelques kilomètres au sud l’œuvre de destruction s’accomplit d’une manière vraiment redoutable. Le courant de marée, qui se rend alternativement de la mer dans le bassin, et du bassin dans la mer, vient frapper contre la rive et gagne incessamment sur la base des dunes.

C’est un beau spectacle que présentent ces talus de sable, hauts de 50 mètres, reculant à vue d’œil devant la mer. Composés de molécules sans cohésion, ces talus offrent une inclinaison moyenne d’environ 45 degrés ; mais en certains endroits des couches de sable fortement comprimées ou bien agglutinées par l’humidité résistent à l’éboulement et se dressent en parois verticales : ce sont alors autant de gradins du haut desquels le sable mobile plonge en cascatelles. Lorsque le vent souffle avec force, d’innombrables filets de sable descendent ainsi d’assise en assise du sommet de la dune jusqu’à la base : on dirait une cataracte d’eau grisâtre partagée en une multitude de nappes. Les grands arbres qui croissent au sommet de la dune, et dont le vent incline le branchage vers la terre, remuent le sol avec leurs racines comme avec un énorme levier, et chacun de leurs efforts fait couler un large ruisseau de sable. Enfin ils se déracinent eux-mêmes et sont entraînés sur la pente du talus comme par une avalanche. Des pins au feuillage encore vert hérissent partout les éboulis et finissent par glisser dans le courant qui les emporte. Au pied de la dune, la mer gagne lentement, centimètre par centimètre, et l’on voit la rive se fondre pour ainsi dire en laissant à nu l’ancien sous-sol des landes. La plus grande partie de ces sables arrachés à la base des talus est aujourd’hui reportée sur les plages du banc de Matoc, au sud de l’entrée du bassin Là